Plan
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Open access : un « western scientifique » international à l’ère numérique
La recherche scientifique est en pleine introspection. Toutes les pratiques et les normes intériorisées de longue date sont remises en cause : l’évaluation par les pairs, le processus de publication, les frontières entre les chercheurs et le grand public. […] La publication en libre accès (sans avoir à verser un abonnement à l’éditeur) s’impose de plus en plus comme le mode de diffusion par défaut. Et parallèlement, elle apparaît de plus en plus comme le premier pas timide d’une réforme plus globale.1
Quelle est la réforme globale, même timide, mentionnée dans cet extrait, qui amène la recherche scientifique à se questionner sur elle-même ? Selon le doctorant qui a rédigé ce billet de blog, la réforme s’appuie en premier lieu sur un nouveau mode de diffusion des connaissances, le ‘libre accès’, qui s’imposerait de façon inexorable. La suite de cet article publié dans la rubrique « Blogs » du média en ligne Rue89 en octobre 2013 donne quelques éléments des prémices de la « métamorphose » touchant l’ensemble du processus de publication scientifique, incluant l’étape de l’évaluation par les pairs. « Archives ouvertes, blogs, réseaux sociaux, bases de données », mais aussi « revues non commerciales, financées directement par les universités »2 seraient les nouveaux espaces de la recherche contemporaine, désormais ‘numérique’. Les technologies numériques offriraient en effet la possibilité de diffuser « librement » les publications scientifiques dans des revues « nouvelle génération » en ligne ou bien dans des archives ouvertes. La mise à disposition des articles et données scientifiques directement « en ligne » permettraient de produire des connaissances dans une communauté élargie au Web tout entier. Mais cette « révolution en marche » semble selon l’auteur entravée par quelques rouages de l’ancien monde de la recherche, ce qui pourrait transformer une utopie numérique en une véritable dystopie.
Ce billet de blog, publié quelques jours avant un événement international de promotion de l’open access (traduit de l’anglais par ‘libre accès’ ou ‘accès ouvert’), fait part en effet de quelques ombres à cette belle histoire. Trois personnages principaux sont impliqués dans ce « curieux western spaghetti à la sauce académique », comme le cite l’auteur : le chercheur, l’industriel et le rapace. Dans sa quête du ‘libre accès’, le chercheur, qui incarne la figure du « bon »3, est menacé par le retour de l’industriel, illustré par l’archétype de la multinationale privée déjà établie. Dans le rôle du rapace, on trouve un « nouvel entrant » qui profite des opportunités offertes par des espaces encore vacants : les revues parfois appelées « prédatrices ». L’auteur du billet de blog explique que les chercheurs sont engagés dans une longue histoire avec les éditeurs qui a plus ou moins mal tourné. La relation harmonieuse et équilibrée entre diverses sociétés savantes pour l’édition et la publication scientifique4 s’est petit à petit détériorée. Depuis les années 50, le rôle prépondérant de quelques maisons d’édition privées majeures a transformé cette relation en une prise d’otage des chercheurs par les industries culturelles. Quelques chiffres sont donnés à l’appui dans le texte, par exemple les 30 à 40% de profit des éditeurs scientifiques en 20105. De quoi faire frémir le monde de l’enseignement supérieur.
Pour cet auteur en charge du blog intitulé Hotel Wikipedia, le développement d’Internet et le déploiement du Web ont donné une bouffée d’oxygène au chercheur capable de recréer d’autres espaces pour partager directement des publications scientifiques. Plus besoin d’imprimeur et même d’éditeur grâce à l’auto-publication. Mais c’était, selon ce texte, minimiser les possibilités de « tour de passe-passe » des éditeurs. L’open est en fait devenu un nouvel argument marketing6 lorsque les éditeurs nationaux ou internationaux se sont adaptés au nouveau contexte économique numérique. Ils ont alors tiré avantage des modèles de la publication open access en faisant payer les auteurs qui souhaitent publier, à la différence du modèle « classique » où l’on paye pour lire la ressource (auteur-payeur versus lecteur-payeur). De plus, le ‘numérique’ a offert un avantage aux éditeurs dont une des fonctions était entre autres d’imprimer les revues puisque la diffusion en ligne avec des ressources immatérielles a un coût marginal tendant vers zéro. En plus des « industriels » établis, le billet de blog relate l’arrivée, dans les années 2010, de nouveaux arrivants : des éditeurs scientifiques improvisés qui « rackettent » d’une nouvelle façon le milieu académique en se faisant passer pour les responsables de revues aux allures prestigieuses7. Faisant miroiter aux auteurs la possibilité de publier, les « rapaces » cités dans le billet de blog font payer la publication en open access. Ce nouvel appât fonctionne car publier est l’objectif des scientifiques en quête de reconnaissance et de légitimité pour continuer à évoluer dans leur domaine (le fameux “publish or perish”).8
Le « western scientifique » narré dans ce billet de blog quelques jours avant la Semaine internationale de l’open access 2013 (open access week) se concentrait spécifiquement sur les risques de dérives des modèles de publication scientifique associés à de nouvelles revues scientifiques en open access (gold open access) dans un contexte international. Mais c’était sans présager la naissance d’une autre dramaturgie, cette fois-ci dans le décor d’un film de cinéma à la « française ».
Pendant ce temps en France : #MSWGate, un huis clos 2.0 sur l’open access
Quelques jours après la sortie du billet de blog, une scène en huis clos se dessine, impliquant différents protagonistes. L’intrigue du huis clos repose sur l’arrivée dans le paysage « familial » de la recherche et de l’édition française d’un nouveau venu dont les us et coutumes dérangent. Le personnage est une start-up intitulée MyScienceWork (MSW), dont le but est de développer un réseau social numérique scientifique. La particularité de cette plateforme en ligne, co-fondée par une jeune docteure et son associé, est de proposer un moteur de recherche permettant d’accéder facilement à des millions de publications scientifiques en un clic. Pour cela, des recommandations spécifiques sont proposées en se basant sur les informations fournies par l’utilisateur ou l’utilisatrice lors de son inscription (informations de profil et navigation sur la plateforme). L’activité de cette entreprise se base aussi sur du journalisme scientifique et la couverture médiatique d’événements scientifiques. Organisatrice de deux événements pour l’open access week en octobre 20129, la start-up se propose également de coordonner l’édition 2013 de cette semaine avec un panel de partenaires français du monde de la recherche impliqués dans les questions de l’open access (établissements publics ou semi-privés de recherche, portails de diffusion de ressources, maisons d’édition, universités). Quatre événements sont ainsi organisés à Paris. Mais l’arrivée de cette jeune entreprise privée n’est pas sans gêner les autres protagonistes et va progressivement mettre en lumière des avis divergents dans le monde français de l’open access.
Le premier facteur de discorde apparaît dans un billet de blog au titre évocateur : « Le libre accès privatisé ? »10. Dans cet article, le responsable d’une infrastructure numérique publique de recherche, convié à participer en tant qu’intervenant à un des événements de l’open access week, présente son exploration récente du réseau social MSW. Après avoir testé le moteur de recherche, il relate sa surprise de découvrir, d’une part, que les publications en ‘libre accès’ y étaient disponibles seulement après inscription sur le site web et, d’autre part, qu’aucune mention n’était faite de l’origine des publications. Pour ce responsable d’une institution publique en charge de l’archivage et de l’indexation pérenne de ressources scientifiques, le réseau ne respecte pas les principes du ‘libre accès’ et privatise même les connaissances, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le moteur de recherche, en ne citant pas la source de la publication, ne reconnaît pas et prend même avantage du travail d’autres structures œuvrant pour le ‘libre accès’ (en l’espèce, une archive ouverte nationale)11. De surcroît, en imposant une inscription obligatoire, la plateforme reconstruit une barrière à l’accès. La barrière, même si elle n’est pas payante, implique une autre valeur d’échange, celle des données personnelles.
Rapidement, cette remarque et les commentaires associés à l’article donnent naissance à une « affaire »12 relayée sur les réseaux sociaux tels que Twitter et la blogosphère. En plus du terme privatisation, celui de vol circule sur Twitter. Le hashtag (mot-dièse) #MSWGate est alors employé pour suivre les débats et relayer les autres billets de blog qui sont rédigés les jours suivants par d’autres personnes. À travers cette affaire, deux éléments de friction apparaissent : celui de la définition même de ce que devrait être l’open access (‘libre accès’ ou ‘accès ouvert’ ?) et celui de sa mise en œuvre dans le contexte français.
Open, gratuit, libre ou ouvert : quelle définition pour l’open access ?
À la suite de ce premier billet, un second article, publié peu après sur un carnet de recherche en ligne par un acteur institutionnel public, revient sur la définition de l’open access et montre qu’elle n’est pas aussi limpide qu’elle peut paraître. Comme son titre le rappelle, « Accès ouvert, accès libre : quelques précisions basiques »13, la traduction d’open en français est multiple et peut prêter à confusion. Dans le texte, deux open access sont distingués : le gratis open access qui se traduit par ‘accès ouvert’ et le libre open access qui se traduit par ‘libre accès’. L’article précise ainsi que l’’accès ouvert’ concerne une ressource « consultable sans barrière autre que la capacité d’avoir un accès à internet et un navigateur web »14. Cela signifie qu’« il ne faut pas payer (d’où le gratis) ni s’identifier pour avoir accès au texte intégral. »15 En revanche, le libre open access est une combinaison de l’’accès ouvert’ (les textes sont accessibles sans identification et sans paiement) et d’une licence libre, permettant la réutilisation dans certaines conditions »16. Ici, l’élément central de distinction concerne les droits de propriété intellectuelle appliqués aux ressources. Dans le cas de l’’accès ouvert’, l’article reste la propriété de son auteur qui possède tous les droits sur la ressource17. De ce point de vue, le réseau social scientifique a bien commis un « vol »18 en moissonnant des documents issus d’autres archives ouvertes ou revues en open access, et en stockant les métadonnées et les articles sur son propre serveur19.
Entre la privatisation de contenus diffusés par le service public et un vol de ressources propriétaires, une troisième voix se fait entendre peu de temps après. L’article « Un Open Access sans licence libre a-t-il un sens ? »20 introduit une autre notion pour décrire l’exploitation « non équitable » de ressources en open access. Plutôt que le terme vol, l’expression d’ « enclosure informationnelle » est employée. Issue de la théorie des communs21, l’enclosure informationnelle désigne une clôture artificielle posée sur une ressource numérique22. Les clôtures peuvent aussi bien être apposées par des acteurs publics que privés. L’auteur de l’article, juriste et bibliothécaire mais aussi co-fondateur d’un collectif autour des communs, rappelle qu’une affaire semblable, quelques années auparavant, concernait l’enclosure de ressources scientifiques par un organisme de recherche publique23.
Ce billet de blog questionne également la pertinence d’un open access qui se réduirait à un ‘accès ouvert’ sous « le régime classique du droit d’auteur (« copyright : tous droits réservés »)24. Pour nourrir son argumentation, l’auteur remonte aux premières heures de l’open access. Deux moments forts, en 2001 puis 2011, sont évoqués comme briques fondatrices de l’open access et du mouvement qui l’accompagne : en 2001, la déclaration Open Access de Budapest, rédigée par des « leaders de l’open access »25 (chercheurs, bibliothécaires, membres d’institutions et fondations) propose une première définition de l’open access avec une forte connotation ‘libre’ et ancrée dans l’idée d’un Internet public26 :
Par “accès libre” à cette littérature, nous entendons sa mise à disposition gratuite sur l’Internet public, permettant à tout un chacun de lire, télécharger, copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral de ces articles, les disséquer pour les indexer, s’en servir de données pour un logiciel, ou s’en servir à toute autre fin légale, sans barrière financière, légale ou technique autre que celles indissociables de l’accès et l’utilisation d’Internet. La seule contrainte sur la reproduction et la distribution, et le seul rôle du copyright dans ce domaine devrait être de garantir aux auteurs un contrôle sur l’intégrité de leurs travaux et le droit à être correctement reconnus et cités.27
Une autre déclaration, dix ans après, vient compléter cette définition avec notamment quelques précisions sur la mise en œuvre du ‘libre accès’. Le billet de blog cite un premier extrait de la déclaration de 2011 donnant une coloration ‘libre’ à l’open access :
Dans la mesure du possible, les politiques des organismes subventionnaires devraient exiger l’accès dans sa forme libre et non simplement gratuite, préférablement accompagné d’une licence CC-BY ou équivalent28
L’auteur du billet de blog mentionne néanmoins que cette deuxième déclaration a prévu un ordre de priorité sur le chemin de l’open access. L’accès gratuit à une ressource apparaît dans cette déclaration toujours préférable à un accès payant même si un ‘libre accès’ avec une licence CC-BY (licence Creative Commons avec attribution de la paternité) est l’objectif à atteindre.
En citant ces extraits de déclarations, l’auteur du billet de blog souhaite rappeler « l’esprit » initial des fondateurs de l’open access, dont les revendications s’intégraient dans un mouvement plus global pour la défense d’un Internet libre. L’’accès ouvert’ ne serait ainsi qu’une étape, et pour l’auteur, ce serait « un danger à laisser le terme “Open” dériver »29. Plus qu’un rappel de définitions, l’article de blog met aussi en avant un point d’achoppement majeur lors du #MSWGate, à savoir la manière dont l’open access doit se mettre en place en France et surtout avec quels acteurs.
Quelle organisation pour l’open access en France ?
Les accusations faites à la start-up ont révélé un autre point de friction : le rôle des acteurs privés dans le monde du ‘libre accès’/‘accès ouvert’ français. Le billet « La France a-t-elle eu l’Open Access Week qu’elle mérite ? #OAW #OAW13 »30 résume bien les questionnements que provoqua l’arrivée d’un tel acteur dans le monde français de l’open access. Le rôle de la start-up qui, on le découvre dans le texte, est une entreprise privée domiciliée fiscalement au Luxembourg, a en effet suscité des questionnements, tout autant que la place « d’acteurs institutionnels légitimes » dans l’organisation de la Semaine. Les commentaires associés à l’article révèlent plusieurs questions sur la coordination d’un tel événement. L’open access en France doit-il être pensé et mis en œuvre seulement avec les acteurs institutionnels établis (établissements de recherche, universités, maisons d’édition, bibliothèques, etc.) à l’image de la coordination du mouvement « I love Open Access » quelques mois auparavant31 ? Faut-il donner la possibilité à des acteurs d’une nouvelle génération de s’insérer ? Une autre question concerne la gestion de la Semaine du ‘libre accès’ : faut-il qu’un tel mouvement soit porté par l’État ou bien qu’une organisation plus « bottom-up » et horizontale se mette en place ?
Les considérations, cristallisées ici sur le cas de la coordination de la Semaine du ‘libre accès’, soulèvent un questionnement plus général sur la gestion de l’ouverture et de la libération des ressources scientifiques désormais sous format numérique « en ligne ». Un article de blog intitulé « Publication, centralisation, hiérarchisation »32 débute ainsi par une citation attribuée à une des figures de la contre-culture américaine, Steward Brand, lors de la Hackers Conference de 1984 : « Information wants to be free. Information also wants to be expensive. …That tension will not go away. »33
L’auteur de l’article, un scientifique bloggeur, rappelle que derrière la diffusion gratuite de l’information « en ligne » se cachent des coûts importants. La diffusion implique un ensemble d’acteurs s’organisant d’une part pour mettre à disposition le savoir et, d’autre part, pour proposer un tri des ressources dans une masse d’informations numériques de plus en plus abyssale. Le chercheur note une centralisation progressive des ressources scientifiques via des infrastructures publiques ou semi-publiques comme ArXiv, HAL, ou bien encore PubMed. Il met également en avant les procédés de hiérarchisation des informations par des moteurs de recherche, détenus par des acteurs privés tels que Google Scholar. Ce dernier service est néanmoins apprécié par le scientifique rédigeant le billet de blog, qui souhaite en priorité trouver pour ses recherches des informations pertinentes, tout en ayant bien conscience que ses données sont le « business » de Google. La centralisation, tout autant que le modèle économique du géant d’Internet, ne semble pas lui poser de problème tant que l’efficacité du service de tri lui permet de mener à bien ses recherches. Dans ce cas, l’entreprise franco-luxembourgeoise MyScienceWork n’est pas accusée de voler, ni d’enclore, ni encore de privatiser. Elle apparaît tout simplement inutile par rapport à d’autres services existants et efficaces tels que Google.
Ce point de vue est donc encore de nature différente par rapport aux arguments présentés précédemment. Si certains questionnent le rôle centralisateur de l’État français à propos de l’open access, d’autres seraient enclins à favoriser une gestion publique, tandis que la dernière perspective rappelle que le déploiement de services, même payants, par des acteurs privés n’est pas gênant tant que l’information reste libre de circuler. Au terme de ces quelques jours d’échanges par billets de blog et tweets interposés, la houle retombe bien vite et ne donne pas de réponse claire aux questionnements touchant la gouvernance des ressources ouvertes/libres désormais disponibles « en ligne ».
« …2.0 », « en ligne », numérique : une constellation d’expression pour désigner les technologies numériques et leur influence aujourd’hui
Plusieurs termes sont employés pour désigner les espaces où nous communiquons ou partageons des ressources en ligne avec Internet et le développement d’applications tels que le Web, ou la messagerie électronique. De nombreuses expressions telles que « ère numérique », « tournant numérique », « transformation numérique » font partie des discours actuels sans pour autant qu’une définition soit donnée à cet adjectif substantivé de ‘numérique’. Tout au long du document, mon objectif est d’apporter une grille de lecture pour mieux comprendre ce que les technologies numériques participent à transformer aujourd’hui. Je vais donner plus de précisions par la suite sur les termes de Web 2.0, d’espaces ou de dispositifs numériques.
2013-2015 : d’un huis clos 2.0 à un débat national public avec la consultation République numérique
Les échanges de 2013 lors du #MSWGate sont les prémices d’une intrigue bien plus conséquente, qui se déroule deux années plus tard. La première scène du #MSWGate consiste en un huis clos 2.0 entre des protagonistes favorables à l’open access malgré leurs opinions divergentes sur la question de sa mise en œuvre en France. J’emploie le terme de huis clos 2.0 car les discussions et échanges sont circonscrits à la sphère étroite de celles et ceux déjà familiers avec les espaces numériques de communication tels que les réseaux sociaux généralistes (Twitter, Facebook), ou encore les blogs et carnets de recherche, tout autant d’espaces, associés au développement du Web 2.0 et d’une Science 2.034, qui offrent la possibilité de partager aisément du contenu et d’échanger de façon quasi-instantanée sur « la toile ». Bien que les échanges se soient entremêlés sous la forme de tweets, de billets de blog et de commentaires sous ces mêmes billets, cette affaire ne s’est pas ébruitée en dehors du « cercle des initiés » des espaces 2.0. L’intensité des échanges sur quelques jours montre tout de même que la question de l’open access est loin d’être un long fleuve tranquille.
Ces questions prendront une tout autre envergure lorsque l’open access sera à l’agenda d’un débat public national, lors de la consultation sur le projet de loi pour une République numérique, proposée entre septembre et octobre 2015 sur trois semaines. D’un huis clos 2.0 entre quelques personnes présentes dans les sphères numériques des blogs et de Twitter, la question de l’open access est alors devenue un enjeu public en raison de la présence d’un article de loi à ce sujet dans le projet de loi pour une République numérique (article 9). L’organisation de la phase consultative au tout début du processus législatif, accompagnée d’un dispositif numérique participatif, donne à voir une diversité d’arguments, de justifications ainsi que des critiques de l’article 9 dont le titre est « libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique »35. Les échanges prennent alors la forme d’un débat national et public avec la présence des acteurs présents du huis clos 2.0 mais aussi d’autres protagonistes, tels que des citoyen.ne.s surpris.e.s d’apprendre l’existence même de barrières pour accéder aux connaissances ou diverses figures institutionnelles de la recherche publique soutenant le libre accès aux savoirs scientifique. Lors du débat, des industriels de l’information et des éditeurs ont aussi pris la parole. Ils font tout au contraire savoir leur position sceptique quant à l’adoption de l’open access en raison des incertitudes économiques qu’elle soulève. Au-delà du débat entre ‘libre accès’ et ‘accès ouvert’, les échanges de 2015 se cristallisent sur d’autres notions telles que le terme de « science ouverte à tous », d’open science, ou bien encore de text and data mining. Tout au long de la présente recherche, j’ai analysés ces termes pour comprendre leurs significations. Je les ai associés à l’expression générale d’« open en sciences » employée dans le titre de ma thèse.
Ce que j’appelle désormais « la consultation République numérique » et le site web participatif qui lui a été dédié ont constitué le principal terrain d’observation de ma recherche. Au cœur de ce doctorat se trouve en effet une enquête qui suit la dynamique des échanges concernant l’article 9 sur divers espaces/dispositifs « en ligne » et « hors ligne ». Mais avant d’en arriver à choisir ce terrain d’étude principal, j’ai dû faire tout un cheminement pour déterminer l’intérêt de ce moment spécifique que j’ai appelé par la suite une épreuve de réalité « équipée », en référence aux travaux théoriques en sociologie pragmatique de la critique et aux recherches en sciences de l’information et de la communication (SIC) sur la matérialité des controverses en ligne (cf. chapitre trois). Adoptant une démarche par théorisation ancrée, mon travail de recherche consiste à comprendre comment les désaccords exprimés lors de la consultation République numérique donnent à voir différentes conceptions de « ce que devrait être » ‘la Science’, ce que je nomme par la suite le régime des savoirs, expression empruntée aux travaux théoriques de Dominique Pestre36 (cf. chapitre deux). L’enjeu de ma recherche est de mieux comprendre les reconfigurations actuelles du régime contemporain des savoirs avec l’arrivée du ‘numérique’. Bien loin d’un monde de ‘la Science’ stable et unifié, mon étude explore un monde complexe, mouvant, avec une histoire aux contours jamais tout à fait figés. Un monde des savoirs aux espaces multiples, dont les frontières sont de plus en plus poreuses avec le déploiement du ‘numérique’ et où les protagonistes dérogent à la caricature des personnages du « western scientifique » de 2013. Lors de la consultation, une diversité de voix et d’arguments se font entendre et se déploient sous diverses configurations bien au-delà du seul site web de la consultation prévue pour orchestrer les débats.
Avant d’introduire le plan d’exposé général de ma thèse, il reste néanmoins une dimension majeure de mon travail à introduire et qui justifie également le choix d’avoir présenté l’affaire #MSWGate en introduction. Le huis clos 2.0 de 2013 joue un rôle particulier puisqu’il a donné naissance aux questionnements même de ma recherche. L’événement #MSWGate représente en effet un moment-clef qui m’a conduite par la suite à « expérimenter la thèse », tout en développant un attirail réflexif original, en raison de mon implication et mon engagement initial pour l’open science37.
Expérimenter la thèse : HackYourPhD - un parcours réflexif en toile de fond
Les échanges relatés plus haut m’ont concernée en tant qu’ancienne employée de la startup MyScienceWork38, mais aussi en tant que co-fondatrice du collectif HackYourPhD que je venais de co-créer (cf. encadré). En effet, en septembre 2013, lors du MSWGate, je revenais tout juste d’un voyage de deux mois à la rencontre des acteurs et actrices de l’open science aux États-Unis39. Le vent nord-américain de l’open, frais et enthousiaste, m’est apparu à l’opposé des échanges en ligne du #MSWGate et du cadre institutionnel de la recherche française. J’ai été surprise (à l’époque) par les débats houleux que l’open access suscitait et j’ai souhaité comprendre plus en détail les raisons du conflit. Il me semblait aussi nécessaire d’apporter des nuances aux prises de positionnement et aux traits caricaturaux qui en ressortaient. Ma recherche doctorale s’est donc fondée sur une première question « naïve » que je peux énoncer ainsi :
Quelles sont les significations données aux termes open access mais aussi open science par les acteurs en présence lors du #MSWGate et quelles sont les raisons de leurs désaccords ?
Mon travail de doctorat a consisté, d’une part, à reformuler cette question de façon plus précise en construisant petit à petit ma posture de recherche afin d’articuler à la fois concepts théoriques et éléments méthodologiques, et d’en dégager une problématique puis une question de recherche autour du cas d’étude spécifique des débats sur l’article 9 de la consultation du projet de loi pour une République numérique. Mais, d’autre part, j’ai dû développer une démarche réflexive approfondie en tant qu’actrice impliquée dans les débats que j’analysais. En raison de mon engagement dans le mouvement open science, en tant que co-fondatrice de HackYourPhD et mon implication dans différentes initiatives regroupées autour des communs et du « libre » (savoirsCom1, Open Knowledge Foundation, La Paillasse, OpenCon40), je me suis interrogée tout au long de cette recherche sur mes propres conceptions de l’open, sur mon positionnement et son évolution au fur et à mesure de mon doctorat. Les réflexions ont pris la forme de lectures théoriques, de prise de notes dans mon carnet de bord, de mes « pensées », mais aussi d’un ensemble d’échanges de courriels et/ou de discussions avec celles et ceux qui ont accompagné mon projet doctoral. Des échanges qui m’ont aidée à comprendre la diversité de faire et de penser les sciences aujourd’hui, et à élaborer ma propre posture de recherche pas à pas.
Genèse de HackYourPhD : comprendre et expérimenter les transformations des pratiques de recherche avec l’open science
Mes interrogations réflexives sur la recherche (j’emploie souvent l’expression de « métarecherche ») sont préexistantes à mon doctorat puisqu’elles ont donné naissance au collectif HackYourPhD. Le fondement de la création de ce collectif, devenu ensuite une association, était d’interroger la recherche et son contexte actuel, mais également d’expérimenter et de défendre de nouvelles pratiques open science. J’ai co-fondé HackYourPhD avec Guillaume Dumas, chercheur en neurosciences cognitives, et avec l’aide d’autres étudiant.e.s, de jeunes chercheur.e.s et issu.e.s principalement des milieux ingénieurs et scientifiques (sciences du vivant, neurosciences, grandes écoles françaises). Le projet a pris naissance au sein d’espaces alternatifs informatiques tels que les hackerspaces mais aussi de nouveaux lieux de l’entrepreneuriat numérique à l’image des FabLab ou d’initiatives citoyennes comme les tiers-lieux.
Le manifeste fondateur de HackYourPhD avait pour objectif de noter le fossé actuel entre les potentialités offertes par le ‘numérique’ et les pratiques de recherche dans un climat compétitif. La devise choisie par l’association a été : « Une science et un accès à la connaissance comme communs ». Ce parti pris et cette volonté de changement se sont structurés au sein du collectif HackYourPhD par des activités de veille sur les réseaux sociaux, de communication sous des formats graphiques, d’organisations d’ateliers et de conférences pour partager nos réflexions, et de formation sur les pratiques open science (ateliers d’apprentissage à la programmation) avec l’optique d’apprendre en faisant et en partageant de pair à pair.
Dès le départ, l’expérimentation collective de pratiques open science au sein de HackYourPhD s’est doublée pour moi d’une volonté de donner la parole à celles et ceux qui pratiquent l’open science. Mon but était de comprendre leurs pratiques, leurs revendications et leurs frustrations également. Pour cela, j’ai réalisé des enquêtes en France et à l’étranger, notamment sous la forme d’un web-documentaire aux États-Unis avec « HackYourPhD aux States ». J’appliquais mes propres compétences de community manager en me servant des réseaux sociaux et des blogs pour faire un grand nombre d’interviews avec des « makers de l’open science » et décrire par le biais de livetweet les lieux et les espaces alternatifs qu’ils et elles investissaient.
Ce goût de l’enquête sous le format du web-documentaire et les connaissances sur l’open que j’ai ainsi accumulées ont été le point de départ de ma recherche doctorale et ont influencé mon choix de recourir à une approche ethnographique tout en mettant en place un solide attirail réflexif, afin de prendre en considération mes engagements et mes conceptions de l’open, qui ont également évolué avec l’expérience du doctorat.
Plan de la thèse
Cette thèse est constituée de dix chapitres répartis en cinq parties. Chaque partie comprend une introduction et deux chapitres.41 La première partie « L’open … et ses traductions : des formules révélatrices d’enjeux contemporains en sciences » et les deux chapitres qui la composent présentent les premiers éléments conceptuels et contextuels qui ont aiguillé mon travail de recherche : des premières interrogations au sujet de #MSWGate à la définition d’une problématique. En introduction de la première partie, je présente le concept de formule, qui est le premier outil heuristique employé afin de mieux comprendre comment un terme (mot ou expression) peut faire l’objet d’un ensemble d’enjeux sociaux, politiques, économiques. Dans le premier chapitre « Open : les différentes facettes du ‘numérique’ », je propose de revenir sur diverses significations données à la formule open et de dresser un premier paysage de différents enjeux contemporains associés au ‘numérique’ (économiques, sociopolitiques, etc.). J’y introduis également quelques éléments clefs d’histoire des technologies de l’information et de la communication afin de faire ressortir le rôle majeur que scientifiques et intellectuels ont joué dans la constitution même des technologies numériques et des imaginaires qui y sont reliés. La fin du premier chapitre m’amène ainsi à souligner le fait que l’on ne questionne que rarement la façon dont les milieux de production des savoirs considèrent ‘la Science’ et les visions du monde qui les sous-tendent.
Cela m’amène au deuxième chapitre intitulé « Dans le domaine scientifique : un régime des savoirs en action ? » qui présente succinctement une autre histoire parallèle : celle des évolutions des milieux scientifiques, académiques, intellectuels occidentaux au fil des dernières décennies jusqu’à aujourd’hui. Pour cela, je m’appuie sur le concept de régime des savoirs et retrace quelques-unes de ses évolutions majeures (sociopolitiques, économiques, techniques) depuis 1945 en France jusqu’à nos jours (de la Big Science aux technosciences jusqu’à l’émergence des discours sur l’open en sciences aujourd’hui). Bien que proposant une vision historique des évolutions du régime des savoirs sur plusieurs siècles, le deuxième chapitre introduit la problématique de ma recherche, soit celle de comprendre comment l’étude des débats contemporains sur l’open en sciences permet d’analyser la manière dont un régime des savoirs est façonné et évolue.
Les éléments contextuels et la problématique générale posés, la deuxième partie « Itinéraire d’enquête : considérations théoriques et méthodologiques » présente les éléments nécessaires à la compréhension de la démarche de recherche que j’ai construite et adoptée. L’introduction de cette partie « Doctorat et construction d’une posture de recherche » commence par un retour réflexif sur la construction de ma posture de recherche et me permet d’introduire la démarche par théorisation ancrée et les implications qui en découlent d’un point de vue méthodologique et théorique. Dans ce sens, le troisième chapitre « Sensibilité théorique et choix de quelques concepts-clefs » présente non pas un cadre théorique mais quelques concepts-clefs à la croisée entre sociologie pragmatique de la critique et sciences de l’information et de la communication. Cette articulation spécifique propose d’analyser des moments de désaccords particuliers (les épreuves de justice) en s’intéressant aux logiques de justifications qui s’y rencontrent, tout en s’attachant à prendre en considération le contexte et notamment l’équipement des débats par un ensemble de dispositifs numériques.
Les éléments théoriques exposés, le quatrième chapitre « La consultation République Numérique : une épreuve de réalité « équipée » me permet d’expliquer la raison du choix de la consultation comme point d’entrée principal de mon analyse. D’une exploration tous azimuts, en début de doctorat, des discours sur l’open en sciences, j’ai choisi par la suite de me centrer sur la consultation République numérique, en tant qu’épreuve de réalité « équipée » par un dispositif participatif numérique, car elle a été l’occasion d’observer presque en direct et de manière circonscrite la défense de différentes conceptions de « ce que devrait être » le régime contemporain des savoirs en France. La suite du chapitre est dédiée à la méthodologie en tant que telle. J’y décris l’approche ethnographique numérique que j’ai choisie, ainsi que les différents mouvements itératifs de la recherche propre à la démarche par théorisation ancrée. Ce chapitre détaille les spécificités de mon approche qui mêle à la fois méthode numérique (constitution d’une cartographie de similarité des votes) et analyse systématique qualitative d’un corpus d’une centaine de documents, constitué en suivant le déploiement des échanges sur divers espaces/dispositifs numériques.
Les parties trois et quatre sont consacrées à l’analyse et à la présentation des résultats à proprement parler et donnent à voir ainsi la thèse défendue dans mon doctorat. J’ai distingué deux parties car la troisième partie « Conceptions « pré-numériques » : une adaptation à l’ open controversée » me permet de décrire tout d’abord des conceptions du régime des savoirs défendues par différentes figures-types institutionnelles déjà établies et devant s’adapter « bon gré mal gré » au ‘numérique’. La quatrième partie « Conceptions « numériques » : les deux facettes de l’ open », quant à elle, aborde les revendications portées par de nouvelles figures-types et des voix qui n’avaient que peu la parole auparavant en dehors des dispositifs consultatifs. L’introduction de la partie trois « Présentation de la modélisation » expose la modélisation issue de la démarche par théorisation ancrée. Le schéma général est intitulé : La défense de différentes conceptions du régime des savoirs et dynamiques de reconfiguration lors d’une épreuve de réalité « équipée ». J’y présente les différents concepts que j’ai définis au cours de l’analyse42 et que j’emploie par la suite tout au long des chapitres (perspectives argumentatives, stratégies dans l’épreuve, logiques, etc.). En guise d’entrée en matière, je présente aussi dans cette introduction quelques chiffres rappelant la mobilisation importante suscitée par l’article 9 lors de la consultation. J’y expose également la cartographie de similarité des votes sur l’article 9, obtenue par l’usage de méthodes numériques, qui donne une capture figée des débats en fin de consultation. La description de la cartographie me permet de présenter d’ores et déjà dans cette introduction quelques figures-types en présence et les points saillants d’une situation complexe que je « déplie » par la suite tout au long des quatre chapitres d’analyse.
Le cinquième chapitre « Science et Lettres rétablies : l’écho des régimes de savoirs passés » expose les premières perspectives argumentatives que j’ai rattachées à des esprits de ‘la Science’ et des Lettres passés. Ce chapitre d’analyse a aussi pour objectif d’expliquer la manière dont j’ai construit ma modélisation et l’importance donnée à l’analyse des dispositifs (infrastructures, normes juridiques, etc.). Dans le quatrième chapitre, je commence à introduire les espaces numériques complémentaires au site de la consultation qui ont été impliqués dans l’épreuve de réalité « équipée » (ici médias en ligne « grand public »), afin de montrer l’influence des dispositifs sociotechniques dans le cadrage et la configuration d’une épreuve. Le sixième chapitre « Science en transition : l’adaptation d’un régime technoindustriel-marchand controversé » présente l’esprit contemporain du régime des savoirs remis en cause aujourd’hui avec le passage au ‘numérique’, d’où est issue la proposition même d’un article de loi pour statuer sur la question du « libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique » (titre de l’article 9). J’y expose notamment la configuration principale des échanges sur le site de la consultation : une controverse entre acteurs industriels privés et publics de l’information scientifique et technique. Pour les figures-types institutionnelles déjà établies, l’open signifie une transition au futur incertain et révèle des scissions en cours, notamment dans le champ des sciences humaines et sociales francophone. Un autre espace est également introduit dans le chapitre six, celui des revues en sciences humaines et sociales (SHS) et son rôle dans la dynamique de l’épreuve de réalité, par la dimension performative de ces publications académiques.
Par la suite, chaque chapitre de la quatrième partie « Conceptions « numériques » : les deux facettes de l’ open » est consacré à une des facettes de l’open. Derrière les revendications communes d’un open par défaut, mon propos est de montrer que deux logiques se distinguent qui sont basées sur des conceptions d’économie et de philosophie politique distinctes. Le septième chapitre « Science réappropriée : la défense d’un régime civique-technoindustriel des savoirs » présente une conception de l’open en continuité de la logique technoindustrielle mais prenant une polarité non plus marchande mais civique. Elle est défendue entre autres par de nouvelles figures entrepreneuriales de la recherche publique et donne à voir la réorganisation d’un réseau national institutionnel avec le développement d’infrastructures (les bibliothèques scientifiques numériques), qui soulève plusieurs critiques. La dispute entre Humanités et Humanités numériques en est une illustration et présente également une configuration différente des échanges (passage d’une controverse à une dispute) sur d’autres espaces, ici les listes de discussion. Le chapitre huit « Libre diffusion et régime processuel des savoirs : de la défense des sciences communes à l’effleurement des enjeux computationnels marchands » décrit la logique processuelle et le changement de référentiel que cette logique opère dans la façon de considérer la place des savoirs dans la société. D’une science en société, j’y expose une « société en sciences » où les savoirs prennent le statut de communs informationnels et font l’objet de revendications sociales par de nouvelles figures sous la forme de collectifs et de nouveaux modes de mobilisation. La fin du chapitre vient conclure sur un esprit du régime des savoirs en constitution, intégrant les discours sur l’open et le ‘numérique’ et qui porte en soi l’ambivalence des deux facettes de l’open.
La cinquième partie « D’une modélisation à une théorisation : pistes de réflexion ouvertes » propose de répondre à un enjeu supplémentaire, celui de passer d’une modélisation à une théorisation, et de transposer ces observations à d’autres terrains de recherche. Dans ce but, je montre que la distinction des différentes logiques proposées dans les chapitres précédents peut être pertinente pour analyser les reconfigurations actuelles d’autres agencements sociétaux. Le chapitre neuf « Les stratégies dans l’épreuve : un reflet des logiques mobilisées et des modèles démocratiques » vient illustrer ce point en montrant comment les logiques influencent également les stratégies dans l’épreuve et la présence d’un « nouvel esprit de la démocratie » reposant sur deux conceptions (représentative étendue/contributive), qui se retrouvent dans le design même de la plateforme consultative.
En guise de conclusion, le chapitre 10 « Dynamique de reconfiguration : des esprits aux agencements sociétaux en action » ébauche quelques pistes de compréhension de questions que je me suis posées en fin de thèse sur les dynamiques de reconfiguration d’un esprit et d’un agencement sociétal en tant que tel. Pour cela, je mobilise une interprétation enactive, en me basant sur des travaux issus de sciences cognitives et explorés également au sein des sciences humaines et sociales, notamment dans le laboratoire COSTECH. Je structure mon propos autour de trois concepts clefs de mon schéma général, soit la cognition, les actions médiées par les technologies et l’environnement sociotechnique, afin de mettre en avant l’importance de considérer les bouclages entre ces éléments.
À l’image de cette introduction, la conclusion propose un retour sur l’expérience même du doctorat que je considère comme un processus d’enaction en tant que tel sur mes propres conceptions de l’open. J’y présente quelques points de vigilance sur les dérives de l’open dans la posture de recherche et, plus globalement, une posture de vie que le doctorat m’a amenée à définir ou plutôt à consolider.