Jean-Samuel Beuscart, Eric Dagiral, Sylvain Parasie,

Sociologie d’internet

Éditions Armand Colin - Collection « Cursus » - Paru en septembre 2016 - EAN : 9782200612429 - Format : 150 x 210 mm - Pages : 224

Achat Armand Colin (17,90€ broché - 12,99€ ePub) : https://www.armand-colin.com/sociologie-dinternet-9782200612429

Résumé

Présentation du livre par l’éditeur en quatrième de couverture : « Comment internet modifie-t-il nos façons de se rencontrer, de travailler, de militer, de consommer ou de se cultiver ? Des questions devenues centrales, tant les technologies internet sont aujourd’hui intimement liées à nos existences. Le présent ouvrage fait la synthèse de vingt années de recherches sociologiques internationales sur le sujet. Structuré en chapitres thématiques – interactions, sociabilités, médias, politique et économie –, il revisite les promesses d’internet en matière de démocratisation, de transparence et d’empowerment des individus. Enfin, puisque sociologues et étudiants utilisent de plus en plus internet pour conduire leurs travaux, le livre fait également le point sur les méthodes d’enquête qui s’offrent à eux. »

Auteur(s)

Jérôme Valluy, enseignant en science politique (Paris 1), chercheur en sciences de l’information et de la communication (Costech-UTC), ses recherches portent sur les transformations liées au numérique dans les secteurs de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la culture.

L’ouvrage « Sociologie d’internet » de Jean-Samuel Beuscart, Eric Dagiral et Sylvain Parasie, paru en septembre 2016 chez Armand Colin, relève d’un type d’ouvrages particulièrement utiles aux étudiants et aux professeurs, mais tendanciellement assez peu présentés et discutés dans la profession si on compare leur réception à celle des ouvrages de recherche classiques. Le travail et la compétence nécessaires pour réaliser un tel ouvrage sont pourtant considérables et plus encore s’agissant d’un manuel nécessitant de gros efforts de présentation didactique à destination d’étudiants de Licence. La réalisation de celui-ci est non seulement pionnière – dans un étrange désert éditorial français ! – mais aussi exemplaire quant à ses nombreuses qualités.

« Introduction » (accès ouvert) de « Sociologie d’internet » de Jean-Samuel Beuscart, Eric Dagiral, Sylvain Parasie (Ed. A.Colin)

La sociologie générale et institutionnelle – comme ensemble des chercheurs statutairement rattachés à la sociologie comme discipline – peine à produire des connaissances sur la dimension numérique de la société présente alors même que celle-ci est supposée être au centre de ses préoccupations… et, jusqu’en 2016, n’a pas été en capacité de produire ce type de manuel alors même que l’on sait son importance dans la définition des programmes de formation (maquettage des diplômes) et dans l’organisation des enseignements (plans de cours)… donc dans la mise sur agenda de l’évidente nécessité de former tous les étudiants des premières années universitaires à cette dimension numérique de la société. Ce livre comble un grand vide et, deux ans après, est toujours le seul dans sa catégorie.

L’ouvrage est présenté en vidéo par des témoignages sur l’ouvrage et par ses auteurs, à l’occasion de la séance des "Matinales" de l’Institut Francilien Recherche Innovation Société (IFRIS), avec le soutien du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) et de l’université Paris-Est (UPE), le 15 décembre 2016, au CNAM, autour de l’ouvrage :

Pionnier et seul encore dans cette catégorie, deux ans après sa parution, ce manuel est nécessairement le meilleur mais il le restera probablement longtemps en raison de ses qualités nombreuses : 1) c’est d’abord un énorme effort de synthèse de connaissances disponibles dans la bibliographie multidisciplinaire des sciences sociales relative à l’Internet ou au « numérique » ; 2) trois auteurs, forts d’une coopération ancienne, pour sept chapitres, cela permet des répartitions de charges de travail dont on voit tous les effets positifs dans le sérieux et la maîtrise des corpus bibliographiques thématiques spécifiques à chaque chapitre ; 3) chacun d’eux concerne un champ disciplinaire très large (histoire, sociologie, économie, science politique, sciences de l’information et de la communication…) ou thématique, judicieusement resserré chaque fois par une question centrale, une problématique de focalisation, qui permet de restreindre le domaine étudié au grand bénéfice de la qualité de présentation bibliographique ; 4) ainsi organisés les auteurs peuvent, vertueusement, ne pas céder à la tentation de substituer leurs opinions personnelles aux résultats des recherches et se concentrer au contraire sur la présentation systématique et très rigoureuse de recherches produites par d’autres ; 5) cela nécessite évidemment de très bien connaître les corpus bibliographiques disponibles, ce qui nécessite des années voir décennies de spécialisation scientifique et de pratique didactique ; les curriculum vitae et les productions scientifiques des trois auteurs confirment la relation étroite entre leurs nombreuses années de travail personnel sur le domaine et les qualités précédemment évoquées. 6) enfin, des efforts bienvenus de conseil méthodologique aux jeunes chercheurs, sous forme d’encarts insérés dans le texte, rend ce manuel – bien qu’explicitement destiné aux étudiants de Licence – également utile, voire indispensable, pour la plupart des étudiants de Master autant que pour les professeurs et aussi pour les chercheurs spécialisés sur le domaine.

« Sommaire » (accès ouvert) de « Sociologie d’internet » de Jean-Samuel Beuscart, Eric Dagiral, Sylvain Parasie (Ed. A.Colin)

L’apparition d’internet, associé à d’autres innovations technologiques dans les matériels de réception, modifie tous les aspects de la vie en société, entend-on souvent… en tous cas, un si grand nombre d’aspects que personne ne semble en avoir une vue d’ensemble claire. Plutôt que de prétendre parler de tout, ce qui est probablement impossible actuellement, les auteurs prennent le parti de bien préciser les questions auxquelles ils entendent répondre et de restreindre ainsi les corpus bibliographiques utilisés afin de les maîtriser correctement. Trois questions transversales orientent l’ensemble de l’ouvrage : « 1) Qu’est qu’internet fait à la capacité d’action des individus ? 2) Dans quelle mesure internet favorise-t-il des relations plus symétriques, ou plus égalitaires, entre les individus ? 3) Peut-on dire d’internet qu’il introduit une plus grande visibilité de la société à elle-même ? » (p.22). Ensuite, chacun des sept chapitres – « 1. Une histoire d’internet », « 2. Interagir et se présenter sur Internet », « 3. Sociabilités et réseaux sociaux », « 4. Quel renouveau démocratique », « 5. Journalisme en ligne », « 6. Les relations marchandes en ligne », « 7 . Une nouvelle économie ? » – basé sur des recherches réalisées en France et aux Etats-Unis est cadré par une question spécifique de délimitation.

Deux ans après la parution de l’ouvrage plusieurs comptes-rendus, complémentaires les uns des autres, présentent les contenus de ces chapitres :

Repérer les questions-clefs qui ouvrent et surtout délimitent chacun des chapitres est une autre façon de les présenter tout en soulignant le sérieux des auteurs dans leur volonté de ne pas prétendre parler de tout sur chaque domaine mais de repérer les questions les plus importantes pour la sociologie et de repérer dans la bibliographie des sciences sociales les travaux qui présentent, en réponse à ces questions, des observations de tendances relativement stables malgré la rapidité des évolutions technologiques et sociétales :
1. Le chapitre 1, historique, présente des recherches choisies pour leurs contributions en réponse à deux question : « 1) Dans quelle mesure une série de principes fondateurs d’internet influencent-ils encore aujourd’hui les pratiques des internautes et des producteurs de services en ligne ? 2) Comment internet s’est-il diffusé – en France plus spécialement – au cours des vingt dernières années. » (p.29).
2. Le chapitre 2, centré sur la sociologie des interactions et identités numériques, examine « 1) la façon dont la communication et les interactions en ligne sont rendus possibles, s’organisent et se régulent, avant 2) d’analyser les modalités de la présentation de soi sur internet et leurs évolutions jusqu’au milieu des années 2000. » (p.52).
3. Le chapitre 3 complète le précédent - tout en pouvant se lire indépendamment de lui - en ce qui concerne le continuum des actions en ligne et hors ligne dans la sociabilité connexe à l’internet. Il porte ainsi sur « 1) l’encastrement des pratiques en ligne dans les sociabilités et leurs continuités, à travers les cas particuliers du jeu en ligne et des sites de rencontre ; 2) ce que les individus et les groupes fond des sites de réseaux sociaux, et 3) dans quelle mesure internet reconfigure la vie privée des individus et les modes de visibilité de leurs actions et de leurs identités. » (p.73).
4. Le chapitre 4, relevant d’une science politique qui est aujourd’hui en France largement inspirée par la sociologie politique, aborde les transformations du système démocratique à partir de deux questions : « 1) Dans quelle mesure peut-on dire qu’Internet élargit le débat public ? 2) En quel sens internet renouvelle-t-il les formes de l’engagement civique ?  » (p.94)
5. Le chapitre 5, à la charnière de la sociologie du travail, de la science politique et des sciences de l’information et de la communication examine successivement trois points : « 1) la transformation du travail journalistique à l’ère d’internet ; 2) la remise en cause du monopole des journalistes sur la production de l’information ; 3) ce qu’internet fait au public de l’information. » (p.117)
6. Le chapitre 6, mitoyen aux sciences économiques et sciences de gestion, précise le regard sociologique sur les relations marchandes en ligne en examinant l’évolution de la relation entre consommateurs et producteurs à partir d’une question plus spécifique : « les dispositifs internet renforcent-ils plutôt la capacité du consommateur à choisir en connaissance de cause, ou le pouvoir de guidage du professionnel du marketing ? » (p.142).
7. Le chapitre 7 prolonge le précédent sur la nouvelle économie portée par l’émergence d’internet en déconstruisant quelques illusions des premiers temps de l’internet quant à la démocratisation économique que ce soit sur la désintermédiation des relations producteurs / consommateurs ou la participation massive attendue des foules à la co-production dans l’économie numérique. Les questions sont dans les titres de sections : « 1. Internet favorise-t-il la rencontre directe entre les offreurs et les demandeurs ? » (p.169) et « 2. L’invention d’un modèle de production par les masses ? » (p.180).

La discussion de l’ouvrage peut être ouverte par deux questions, chacune relative à un mot du titre : 1) « Internet » ou « numérique » : quel est l’objet d’étude ? 2) « Sociologie » ou « sciences sociales » : d’où vient le corpus bibliographique ?

L’intitulé du livre, en ce qui concerne le deuxième mot du titre « Sociologie d’internet », semble annoncer une focalisation sur l’outil technologique « Internet » alors même que le projet d’une sociologie en ce domaine paraît plus probablement orienté vers les comportements sociaux modifiés par l’apparition de cette technologie et de toutes les autres qui ont ensuite été reliées à elle. De fait, la définition adoptée par les auteurs répondant à la question « Qu’est-ce qu’internet ? » (p.13-15) est très large : elle inclut non seulement les matériels et logiciels permettant la communication entre supports divers (ordinateurs, tablettes, téléphones…) mais aussi « un vaste ensemble de pratiques » (p.14) de communications interpersonnelles, médiatiques, professionnelles, culturelles, économiques, politiques… et également « un ensemble de représentations partagées » (p.14) de visions du monde mais aussi d’utopies et d’imaginaires culturels reliés aux technologies émergentes. On est alors très loin de la première émergence militaire d’internet et même de sa diffusion dans les milieux scientifiques universitaires, ou encore de sa définition technologique étroite : la définition des auteurs semble pointer davantage vers ce que d’autres nomment « tournant numérique » ou « transition numérique » pour évoquer la diffusion massive des équipements et usages d’outils numériques dans les sociétés les plus riches du monde ainsi que les transformations de comportements sociaux et de cultures politiques rattachables à cette dimension numérique croissante dans nos société depuis une dizaine d’années. Certes, un autre ouvrage de facture très différente et destiné à un autre public, a été publié chez le même éditeur sous l’intitulé « Sociologie du numérique » de Dominique Boullier (http://www.costech.utc.fr/CahiersCOSTECH/spip.php?article67) ; on peut comprendre que le titre du manuel ne soit pas le même, mais la réflexion sur le choix du concept central « Internet » versus « numérique » et les significations de ce choix aurait pu être davantage développées, notamment en ce qui concerne les enjeux de délimitation chronologique qu’il ouvre. Le contenu même du manuel relève davantage d’une sociologie du numérique que d’une sociologie de l’Internet : son objet d’étude porte moins sur la sociogenèse de la technologie Internet et sa dilution progressive dans des systèmes de systèmes informatiques et télécommunicationnels proliférant que sur le phénomène social d’expansion des taux d’équipements et d’usages sociaux ordinaires de matériels et applications dans une population non spécialisée.

L’intitulé de l’ouvrage soulève aussi une question relative à la discipline désignée par « sociologie ». La sociologie est une discipline ancienne qui s’est institutionnalisée dans le champ académique au fur et à mesure de la professionnalisation de la recherche dans la deuxième moitié du 20e siècle. En France, par exemple, un ensemble d’universitaires sont rattachés comme enseignants et chercheurs à la section 19 « Sociologie » du Conseil National des Universités qui régule leurs carrières. Mais le succès historique de la sociologie a depuis longtemps dépassé ce périmètre institutionnel : de très nombreux sociologues ne sont pas rattachés à cette section et font de la sociologie dans d’autres disciplines (science politique, sciences de l’information et de la communication, géographie, aires culturelles et linguistiques, sociohistoire, socio-économie, etc.). De quelle sociologie parle-t-on ? La question est d’autant plus importante que les auteurs partent du constat d’une difficulté de la sociologie à inscrire cette dimension numérique émergente de la société sur son agenda de recherche (« Pourquoi la sociologie s’est-elle tardivement intéressée à internet ? », p.15). Or le manuel réunit pourtant un corpus bibliographique permettant d’entreprendre une sociologie d’internet : si ce corpus ne provient pas de la sociologie en raison de son retard… d’où provient-il ? En examinant le corpus le plus fréquemment utilisé dans l’ouvrage on ne peut manquer d’observer qu’une large partie des références proviennent d’auteurs inscrits institutionnellement dans la discipline des sciences de l’information et de la communication (section 71 du CNU) regroupant aujourd’hui l’essentiel des spécialistes du numérique, objet d’étude approché selon des méthodes diverses, sociologique notamment, à côté d’approches philosophiques, historiques, juridiques, psychologiques et économiques. Je rejoins donc la remarque de Nicolas Baya-Laffite : «  on pourra s’étonner du fait que les auteurs ne resituent pas explicitement leur sociologie d’Internet par rapport à d’autres domaines axés sur Internet, dont les sciences de l’information et de la communication et les « media studies », ou d’autres sociologies, dont la sociologie du web (plus restreinte), la sociologie du numérique (plus large), ou encore la sociologie numérique (fondée sur les méthodes numériques). » (op.cit. §12). La remarque est d’autant plus judicieuse que la structure de l’ouvrage reflète une division du travail scientifique et didactique disciplinaire : histoire (ch.1), sociologie (ch.2 et 3), science politique (ch.4), sciences de l’information et de la communication (ch.5), économie (ch.6 et 7). Or cette structuration serait plus fidèlement reflétée par un intitulé « sciences sociales » que par le seul intitulé de « sociologie »… même si l’on peut comprendre l’intention des auteurs d’utiliser les autres disciplines pour inscrire sur l’agenda de la leur une thématique tendanciellement ignorée voire réprouvée par une majorité des sociologues institutionnels.

Ces quelques éléments de discussion sont néanmoins très secondaires au regard de l’essentiel, à savoir que cet ouvrage est d’abord une magnifique réalisation qui résulte d’un effort considérable pour parvenir à produire un livre dont beaucoup rêvaient depuis longtemps sans oser se lancer dans la tâche ardue de sa production : un manuel fiable et accessible à un public large sur ce domaine et pouvant servir aujourd’hui non seulement aux étudiants qui suivent des cours ou qui souffrent d’un déficit de formation dans de très nombreuses filières (autres que celles de spécialisation sur le domaine), mais aussi aux professeurs souhaitant voir introduit ce domaine de recherche et d’enseignement dans les maquettes de diplômes avec de nouveaux cours à créer dans toutes les filières et à tous les niveaux d’étude, mais surtout dans les premières années d’enseignement supérieur.

Un grand bravo et un grand merci, donc, aux pionniers, pour ce travail si précieux !

Extraits du livre dans la présentation faite sur Google-book : https://books.google.fr/books?id=XFP_DAAAQBAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false

Extraits du livre dans la présentation faite par Hachette : https://liseuse-hachette.fr/file/33892?fullscreen=1

Citer cet article

Valluy, Jérôme. "Sur Sociologie d’internet (Beuscart, Dagiral, Parasie).", 20 janvier 2019, Cahiers Costech, numéro 2.

URL https://www.costech.utc.fr/CahiersCostech/spip.php?article77