Plan
Version initiale de la proposition de publication
Introduction
L’Université Virtuelle Africaine (UVA) est une société privée d’enseignement à distance supportée par les TICE et Internet, lancée en 1997 par la Banque mondiale dans 11 pays d’Afrique anglophone (Ethiopie, Ghana, Kenya, Ouganda, Tanzanie, Zimbabwe) et francophone (Bénin, Burundi, Niger, Sénégal, Mauritanie).
L’UVA se présente comme un réseau de centres d’enseignement à distance connectés à Internet implantés dans les universités existantes et partenaires de l’UVA. Depuis 1997, l’expansion de l’UVA en Afrique subsaharienne est éloquente puisqu’elle est aujourd’hui (2018) implantée dans 53 institutions de 27 pays d’Afrique subsaharienne.
En revanche, en termes de services proposés et de publics cibles, l’évolution de l’UVA n’est pas linéaire et connait des périodes très différentes. Ainsi, l’UVA ne propose des diplômes internationaux à distance (Bachelor ou Licence) à des étudiants (dont des bacheliers) qu’au cours de la période s’étalant entre 2004 et 2009. Par la suite, l’UVA se réoriente vers la formation des enseignants déjà en poste ou dans les écoles normales, la formation professionnelle et les services de consultance. Les services de consultance correspondent eux-mêmes à des activités variées : développement de Ressources Educatives Libres (REL), développement de cours payants, développement et hébergement de plateformes.
Depuis 2014, l’UVA vise le statut d’université à part entière et cherche ainsi à se positionner, non plus comme le plus grand réseau panafricain de formation à distance et d’e-learning qu’elle constitue déjà, mais comme un leader dans l’offre de programmes accrédités en Afrique. Le chemin vers cet objectif est encore long et pose de nombreuses questions relatives à la structuration et au fonctionnement de l’enseignement supérieur africain.
Si l’objectif initial de l’UVA était d’accroitre l’accès à l’enseignement supérieur d’Afrique subsaharienne, 20 ans après, quel a été l’impact de l’UVA pour l’enseignement supérieur africain ? C’est à cette question que l’entretien effectué le 31 juillet 2017, dans le cadre d’une recherche doctorale en cours, avec un ex-responsable d’un service de l’UVA, apporte des éléments de réponse.
Transcription de l’entretien effectué
N.L. : Quelles sont les principales activités menées par l’UVA ?Ça dépend de la période, au départ c’était un projet de la Banque mondiale avec des cours dispensés aux Etats-Unis et diffusés en Afrique. Après il y a eu une autre phase avec le transfert de l’UVA de Washington à Nairobi au Kenya où l’UVA a commencé à faire des cours un peu plus dans le contexte africain faits par des africains. Puis il y a eu toute une phase où l’activité principale a consisté à installer des infrastructures, donc des centres d’enseignement à distance dans plusieurs universités africaines en partenariat avec les universités africaines. Dans ces centres, une partie des cours étaient développés pour les étudiants et une autre partie pour la formation des formateurs. Quand je suis parti, on était à un an de la fin du projet Multinational 2 de la BAD [Banque Africaine de Développement], beaucoup de cours n’étaient pas développés, il devait y’en avoir 2/3 destinés à la formation des formateurs et 1/3 pour les étudiants.N.L. : Comment se passe l’implantation des centres dans les universités africaines ?Alors en fait ça passe par les pays, par exemple dans le cas du projet Multinational 2, les Ministères étaient contactés dans chaque pays et ce sont les Ministères qui nommaient l’université avec laquelle l’UVA allait travailler. Ensuite, ces universités-là disaient quels étaient leurs besoin, enfin en théorie parce qu’il y avait quand même une idée directrice derrière et que de toute façon le projet qui avait été accepté par la BAD n’est pas non plus si flexible que ça.Le projet accepté par la BAD avait trois piliers : l’infrastructure, les contenus et le renforcement de l’UVA. La partie infrastructure c’est le développement des centres dans les universités, le renforcement de l’UVA c’est le paiement des salaires de l’UVA, et le renforcement des départements financiers, c’est le fonctionnement de l’institution.N.L. : Jusqu’à la fin des diplômes internationaux proposés par l’UVA en 2009, les contenus faisaient l’objet d’une négociation commerciale entre l’UVA et des universités d’Amérique du Nord, comment se passe le développement local des contenus par les enseignants africains ?En fait, c’est une approche collaborative avec toutes les universités partenaires. Par exemple, au début d’un projet, on a fait venir un professeur en Physique de chaque université à Nairobi, et une centaine de participants ont décidé de ce qu’allait être le curriculum, comment ça allait être assemblé, comment ils allaient travailler…parce que c’était en trois langues, anglais, français, portugais, donc il fallait qu’ils travaillent ensemble avec des traducteurs au milieu, donc c’est toutes les universités partenaires collaborativement qui développent les contenus. Les enseignants sont rémunérés environ 1000 dollars par module, c’est pas grand-chose mais bon ce sont des gens qui sont déjà salariés de leur université et qui prennent sur leur temps de travail à l’université.N.L. : Et concernant la délivrance des contenus, ce sont eux qui ensuite font les enseignements, suivent les forums etc., ou est-ce que ce sont des tuteurs ?Généralement quand il y avait un centre construit dans une université, il y avait tout un travail de formation pour des tuteurs ou des professeurs sur comment donner des cours en ligne, comment engager les étudiants, donc en théorie ils étaient formés à ça. Mais en fait, une fois que les contenus étaient finalisés, ils étaient transmis aux universités qui les délivraient comme elles le voulaient, y’avait pas d’obligation derrière, sauf pour les Moocs qui étaient gérés directement par nous.N.L. : Quel est l’impact de cette démarche pour les universités traditionnelles ?Je vais donner mon ressenti personnel parce qu’en fait un des gros problèmes selon moi c’est qu’il y a peu de suivi et peu d’accompagnement des étudiants. Je suis allé dans pas mal de sites d’universités, j’étais en relation assez souvent avec elles, donc je me suis fait mon idée et je pense qu’il y a très peu d’universités qui ont vraiment réussi à adopter le modèle comme il a été imaginé. Enfin, c’est pas vrai à 100%, certaines universités ont réussi à peu près correctement disons à faire un complément pour les étudiants qui n’étaient pas sur le campus où les cours étaient donnés. Mais le problème que j’ai vu, c’est que c’était souvent des universités qui donnaient déjà ce genre de cours à distance, des universités qui avaient déjà un peu de moyens. Par exemple l’université au Sud Soudan, l’Université de Juba, qui est assez jeune et a peu de moyens, à la fin ça n’a pas changé grand-chose pour eux parce qu’ils n’arrivaient pas à mettre en œuvre le modèle alors que par exemple l’Université de Port Harcourt au Nigéria qui a beaucoup plus de moyens a eu beaucoup plus de facilité. D’autres universités ont aussi parfois utilisé des cours d’enseignement à distance dans des cours en face-à-face, bon ce n’est pas interdit mais ce n’est pas fait pour ça à la base.Il y a un gros problème au niveau du réseau, la façon dont l’UVA interagit avec les universités partenaires, en fait on leur donne beaucoup mais on leur demande pas grand-chose en retour, du coup, y’en a qui sont engagées, mais il y en a d’autres qui mis à part quand on leur livre des ordinateurs, sinon ils n’en ont pas grand-chose à faire. Toute la stratégie est basée sur la dynamique du réseau que ça peut créer et bon on va dire que la moitié des universités ne sont pas réceptives et c’est difficile à mettre en œuvre de toute façon.Les universités étaient beaucoup moins nombreuses au début, quand l’UVA s’est implantée en Afrique en venant de Washington, je crois que qu’elles étaient deux trois universités, notamment au Kenya (Kenyatta University) donc elles étaient proches. Dans le projet Multinational phase I elles étaient 10 universités…bon à mon avis c’était encore possible de faire qu’elles se sentent impliquées mais je crois que c’est la façon dont ça a été fait et les relations avec elles qui font que ça les intéresse pas plus que ça.NL : Est-ce que les universités d’accueil gèrent les budgets alloués aux centres UVA ?Les budgets sont gérés par l’UVA qui ne prête pas d’argent aux universités à proprement parlé mais par exemple le centre à distance, une fois qu’il est installé coûte 200 000 dollars en moyenne et une fois qu’il est installé il est officiellement donné à l’université et à ce moment-là ils sont très contents de récupérer un centre à 200 000 dollars.NL : Compte tenu de l’implication limitée des universités dans le réseau de l’UVA, quel est l’impact sur l’enseignement supérieur africain ?Mon sentiment, c’est que…bon j’pense que déjà c’est un très bon concept dans le sens où avec le nombre d’étudiants qui arrivent sur le marché au niveau universitaire chaque année, les universités physiques traditionnelles ne peuvent pas suivre. Par exemple au Nigéria ils construisent je ne sais pas combien d’universités par an, mais ça suffit pas à absorber le nombre d’étudiants qui arrivent en études supérieures. Donc j’pense que le concept est très intéressant, maintenant la façon dont ça a été réalisé…quand par exemple il y’avait un problème, disons que la façon de le gérer est assez lente et pas forcément adaptée à mon avis.Donc en fait l’impact à la fin est…il y’a un impact. Le principal pour moi c’est les centres d’enseignement à distance dans les universités, voilà pour moi c’est un bon impact pour celles qui savent les utiliser, c’est-à-dire peut être la moitié : la moitié des universités vont vraiment bénéficier de ça. L’autre moitié, elle, ne va pas savoir l’utiliser, il y a même des cas où ils ont même pas d’électricité pour faire marcher le centre, des choses comme ça. Mais il y a toujours des solutions…j’pense que c’est quand même très adapté au contexte, parce que par exemple si y’ a pas d’électricité, dans certains centres on a pu mettre des générateurs mais bon c’est toujours l’histoire de flexibilité dont j’parlais tout à l’heure, des fois y avait besoin d’être flexible et on ne l’était pas.Après pour ce qui est des cours, j’pense que c’est toujours intéressant parce que ce sont des cours en Ressources Educatives Libres. On entendait souvent des retours sur nos ressources éducatives libres qu’on n’imaginait pas, par exemple on sait que c’était utilisé au Sri Lanka par certaines universités ou même à Timor Leste, c’est un pays d’Asie qui parle portugais donc pareil ils utilisent nos ressources en portugais, même au Brésil également. Donc ce n’était pas fait pour ça mais il y’a cet impact là parce que comme je disais tout à l‘heure on ne trouve pas souvent ce genre de matériel dans d’autres langues que l’anglais et surtout en accès libre.Donc y’a cet impact là mais j’pense que l’impact réalisé c’est peut-être 30% de l’impact attendu. C’est plus l’apport technologique et on va dire quand même y’a tout un aspect sensibilisation, par exemple on a vu des universités, c’est l’Université Cheikh Anta Diop à Dakar qui était pas du tout au début des projets ils étaient pas du tout lancés dans l’enseignement à distance et au fil des années ils ont développé leur propre plateforme et développé eux-mêmes leurs propres cours à distance, donc on peut dire sans trop se mouiller que c’est grâce à l’influence de l’UVA qu’ils ont fini par faire ça mais c’est pas, ça n’a pas été directement le travail de l’UVA.NL : Est-ce qu’on peut dire que l’UVA permet d’accueillir plus d’étudiants dans les universités partenaires et donc d’augmenter l’accès à l’enseignement supérieur ?Je ne pense pas. J’pense que ça contribue à certaines unités, ça contribue à développer des cours, à ce que leurs étudiants soient mieux formés, mais je ne pense pas vraiment que ça ait augmenté le nombre d’étudiants.N.L. : Est-ce que l’UVA peut bénéficier de subventions publiques comme une université d’Etat, est-ce qu’elle reçoit des subventions des gouvernements ?Non, pas directement, l’UVA c’est une organisation intergouvernementale donc en fait chaque pays dans lesquels on opère signe une charte avec l’UVA. Dans cette charte y’a pas d’obligation de donner un financement ou quoi que ce soit donc généralement, eux finançaient à la rigueur leur université publique pour des programmes qu’on avait avec eux mais ils nous finançaient pas directement. Le seul gouvernement qui nous finançait un petit peu c’est le Nigéria parce qu’ils ont un fonds …c’est dans le rapport annuel …donc eux ils nous ont donné deux fois 100 000 dollars par rapport à des projets pour les nigérians mais c’est le seul gouvernement qui ait donné de l’argent.N.L. : Lors de son lancement l’UVA était une entreprise privée qui devait s’autofinancer, qu’en est-il aujourd’hui ?C’est quelque chose qui ressortait régulièrement, le principal problème de l’UVA c’est que l’UVA dépend principalement de la BAD, et donc le jour où la BAD choisit de partir, c’est un problème.Je suis resté 3 ans à l’UVA et une des premières tâches que j’ai eu à faire c’était le développement du Business Plan 2014-2019 dans lequel il y a toute une partie où l’UVA doit s’autofinancer en commençant par faire payer les cours et en faisant de la consultance, enfin il y a plusieurs moyens pour l’UVA de faire de l’argent toute seule.Les frais d’inscription étaient la principale source de revenus mais il y a d’autres sources de revenus à côté qu’on avait imaginés. Mais bon en regardant les anciens documents, les anciens plans stratégiques, il y avait déjà cette idée depuis assez longtemps mais qui n’avait jamais été vraiment mis en place, et même dans le plan 2014-2019, on a jamais pu vraiment démarrer cette phase de financement parce qu’il fallait un investissement initial qu’on n’avait pas en fait.En fait, il faut un investissement assez conséquent à la base pour pouvoir développer des cours payants parce que en fait là, par exemple, la BAD pour le projet Multinational II donnait 20 millions à peu près dont la moitié pour développer des cours mais la condition c’était que ces cours soient des Ressources Educatives Libres, il était pas question qu’on aille derrière vendre ces cours ou faire payer des étudiants. Donc en fait le défi c’était de trouver de l’argent pour pouvoir financer le fait de construire des cours qu’ensuite on allait pouvoir vendre.N.L. : A qui sont proposés les services de consultance, à l’Université Virtuelle du Sénégal (UVS) par exemple ?Pour l’UVS, il y a eu des réunions mais comme on avait déjà un partenariat avec le Sénégal, ce n’était pas quelque chose qu’on a fait payer comme consultance. Mais par exemple, avec AIMS (African Institut For Mathematical Sciences), il y a une relation de consultance, l’UVA réalise des plateformes virtuelles pour des projets de AIMS.N.L. : La consultance c’est donc soit héberger soit développer des plateformes ? Le VUCCnet campus par exemple ?Oui, oui, c’est ça. La consultance c’est principalement, soit de développer une stratégie pour les cours à distance, de développer le contenu parce que la façon de développer les cours en face-à-face n’est pas la même que la façon de développer des cours d’enseignement à distance, donc adapter des cours à l’enseignement à distance ; et la troisième consultance c’est de construire des plateformes d’enseignement à distance type Moodle.N.L. : Est-ce que AIMS est aussi une structure pour l’enseignement à distance ? Quelles sont les différences avec l’UVA ?Bon le concept est très différent dans le sens où…en fait c’est aussi un réseau parce que AIMS est présent dans 6 pays mais tous les centres appartiennent à AIMS, il n’ y a pas de partenariats, enfin si mais les centres et là où vont les étudiants, c’est pas en partenariat avec des universités, tout est géré par AIMS, et ce sont des petites structures d’environ 50 étudiants par an et vraiment spécialisés en sciences mathématiques, ça s’appelle des centres d’excellence, donc là c’est vraiment sur la qualité, y’a des prix Nobels qui viennent enseigner.C’est pas du tout la même idée derrière, disons que l’UVA c’est plus une idée de quantité en essayant d’avoir une bonne qualité, à AIMS c’est plus vraiment de la qualité en essayant d’avoir de la quantité.N.L. : Est-ce que l’UVA a atteint ses objectifs en termes de quantité d’étudiants ?Par exemple, j’me rappelle d’un Mooc quand j’étais là, on avait réussi à avoir 2500 à 3000 personnes qui suivaient le même cours sur une période d’un mois et encore, disons qu’on aurait pu en avoir au moins deux ou trois fois plus si la campagne de communication avait été faite correctement, et si les partenaires avaient fait leur travail. C’est vraiment une technique qui permet de toucher énormément de monde même si ça ne marche pas avec tous les pays c’est sûr, par exemple sur le Mooc quand on voyait les statistiques, effectivement c’étaient toujours les pays comme le Kenya, le Nigéria, la Côte d’Ivoire, ce sont les pays qui sont en avance au niveau des technologies de l’information qui étaient les plus réceptifs.
Analyse
Cet entretien confirme un paradoxe également présent dans la littérature grise : l’UVA est un fournisseur d’enseignement à distance qui vise la « quantité » grâce à une technologie qui doit permettre de toucher un grand nombre d’étudiants, mais le dispositif n’aboutit pas à une augmentation du nombre d’étudiants dans les universités africains mais plutôt à développer des contenus pédagogiques qui alimentent certaines unités d’enseignement des universités africaines.
En effet, au regard des effectifs formés (et non diplômés) annoncés par l’UVA9 en 2017, soit 63 823 dans 53 institutions partenaires de 27 pays africains en 20 ans d’existence, il parait difficile de conclure à l’efficacité de l’UVA en terme d’accroissement significatif des étudiants africains à l’enseignement supérieur. D’autant plus que ces effectifs font l’objet de controverses10 et sont difficilement vérifiables, ceux-ci ne faisant l’objet d’aucune publication régulière.
Ainsi, selon l’interviewé, l’apport et la sensibilisation technologiques constituent l’impact principal de l’UVA pour l’enseignement supérieur africain. C’est également le point de vue de la Banque mondiale en 2003 qui considère que l’UVA est un projet réussi dans le sens où l’UVA « est devenue le centre d’une culture TIC dans plusieurs universités africaines »11. C’est également un facteur de rayonnement international comme le montre la réutilisation par des pays asiatiques des REL développées en portugais.
En revanche, pour l’enseignement supérieur africain, l’impact de l’UVA est bien inférieur à l’impact attendu (environ 30% selon l’interviewé) ce qui s’explique par deux facteurs évoqués dans l’entretien.
D’une part, alors que la Banque mondiale reconnait que « Les universités se sont avérées être l’épine dorsale de l’UVA, dans la mesure où elles ont abrité les centres, accueilli les classes et financés les coûts de fonctionnement et d’entretien de ces centres à partir des revenus générés par les cours » (Banque mondiale, 2003, p.3), selon l’interviewé, certaines universités ne sont pas impliquées dans les activités de l’UVA notamment du fait que le suivi et l’accompagnement des universités africaines pour l’appropriation du modèle d’enseignement à distance de l’UVA est essentiel mais en concurrence avec l’expansion du réseau d’universités partenaires.
D’autre part, l’entretien met en évidence le fait que ce sont principalement les universités déjà en avance sur le plan technologique et ayant le plus de moyens financiers qui sont les plus réceptives au dispositif de l’UVA. Le succès de l’implantation de la technologie pour l’enseignement à distance dépend donc de la capacité de réception du milieu, ici les universités partenaires africaines, et de ce succès dépend l’implication des universités dans le réseau de l’UVA et son modèle d’enseignement à distance par Internet.
Par ailleurs, la Banque mondiale reconnait également que le projet de l’UVA n’était pas adapté au contexte technologique africain puisque le manque d’électricité et d’accès aux lignes téléphoniques était déjà problématique, ni au contexte économique dans lequel « La plupart des africains n’ont pas les moyens de s’acheter un ordinateur personnel » (Banque mondiale, 2003, p.3).
Ainsi, le lancement d’un dispositif d’enseignement à distance basé sur les TIC tel que l’UVA, qualifiée d’expérimentation de la technologie sans fil par les organismes internationaux12, peut surprendre au regard du faible développement de l’infrastructure numérique en Afrique13 en 1997, et ne semble pas attribuable à une autonomie du déploiement de la technique « poussée par acquis »14 au sens de J. Ellul.
L’étude de cas de l’UVA donne en effet une impression d’anticipation qui ne semble attribuable ni à la technique elle-même, ni aux pays africains, ces derniers auraient probablement intégré les évolutions technologiques à leur développement, comme le montre le cas du Centre de Télé-enseignement de Madagascar, mais peut-être par d’autres chemins que celui impulsé par les organisations internationales, notamment la Banque mondiale, et qui par ailleurs, c’est particulièrement perceptible en Afrique francophone, est teinté de l’idéologie néolibérale qui vise à faire de l’enseignement supérieur un service au moins partiellement à la charge des étudiants.
En effet, si selon W. Saint15, le Centre de Télé-enseignement de Madagascar (qui utilise des imprimés et des cassettes de production locale, ainsi que la radio à partir de 1997, et un réseau électronique à partir de 1999) est remarquable par le fait qu’étant intégré aux universités publiques, le Centre est en mesure de proposer les mêmes diplômes avec la même reconnaissance académique, le gouvernement du Sénégal en revanche s’est vu suspendre les subventions de la Banque mondiale16 pendant 18 mois (entre 1999 et 2000) pour n’avoir pas procédé à la mesure très impopulaire de réduction des bourses étudiantes.
Cependant, en suivant G. Simondon, il semble que l’on peut considérer la promotion17, par les organismes internationaux, de l’enseignement à distance et des TIC en Afrique subsaharienne en 1997, comme un « cas mixte d’hypertélie »18, c’est-à-dire qu’il y a survalorisation d’un objet technique dans un milieu désadapté à son fonctionnement.
Ce caractère de survalorisation des TIC dans les actions menées par les organisations internationales dans le milieu éducatif est également signalé par P. Moeglin et G. Tremblay selon qui « l’usage éducatif des Tice est le moyen de favoriser la diffusion des systèmes d’information et de communication en général. (…) La deuxième raison tient à ce que les outils et médias éducatifs et, en particulier, ceux du e-learning sont produits ou fournis par des entreprises ou des institutions partiellement ou totalement privées »19.
L’efficacité20 de l’UVA est alors indépendante21 de l’intérêt et des besoins réels locaux et ne se mesure pas au regard de l’apport de l’UVA à l’enseignement supérieur existant. Dans cette perspective, l’UVA est plutôt « un objet politique »22 dont l’efficacité concerne principalement l’étape de diffusion des techniques les plus récentes et de l’idéologie (néolibérale ?) qui les accompagne. Selon P.-J. Loiret, l’UVA a « permis une dissémination des concepts, même si le modèle de développement qu’elle avait choisi n’était pas adapté au terrain auquel il était destiné » (Loiret, 2007, p.23).
Ainsi, les domaines d’expérimentation et d’impact de l’UVA sont multiples puisqu’au cours de sa première décennie d’existence, l’UVA a permis d’expérimenter la diffusion d’internet par satellite mais aussi la marchandisation des contenus des enseignements des universités du nord vers celles du sud (2004-2009) par le biais d’appels d’offre internationaux pour la conception des contenus, et avec les diplômes internationaux d’Australie et du Canada, notamment le diplôme en informatique de l’Université de Laval.
Avec ces diplômes internationaux, l’UVA participe également à l’hybridation de la formation initiale et l’élargissement des publics étudiants puisque, contrairement au public de l’enseignement à distance habituellement adulte et en emploi, le diplôme de l’Université de Laval au Canada s’adresse à des nouveaux bacheliers, jeunes et sans emploi. Après l’abandon de ces diplômes internationaux en 2009 en raison de leur coût, l’UVA continue à participer à l’hybridation de la formation initiale à travers la formation des enseignants et directeurs des écoles normales qui devront appliquer « sur le tas » les compétences acquises en matière de TIC et donc procéder à l’hybridation de leur propre enseignement que celui-ci soit un enseignement destiné au niveau primaire, secondaire ou à l’enseignement supérieur comme dans les écoles normales (BAD, 2004, p.48 du pdf).
Par ailleurs, bien que l’UVA soit une organisation intergouvernementale qui fonctionne comme une ONG subventionnée par les organismes internationaux d’aide au développement, l’UVA est dès son lancement conçue comme une entreprise privée, une start-up qui a pour objectif de s’autofinancer. Ainsi, l’UVA permet au secteur privé d’absorber d’importantes subventions internationales au nom de la mission de bien public23 que représente l’enseignement supérieur, et absorbe encore un peu plus d’argent public du fait que ses étudiants s’acquittent des frais d’inscription grâce, au moins en partie, aux bourses d’études nationales attribuées aux étudiants, indépendamment du statut de la formation dans laquelle ils s’inscrivent comme le montre l’expérience du diplôme en informatique de l’Université de Laval dispensé sur le site de Dakar au Sénégal entre 2004 et 2009 (Fournier Fall, 2006, p.158).
Ainsi, non seulement, l’UVA (qui n’octroie pas de bourses d’études avant 2007 et très peu après) a permis à la Banque mondiale de tester les capacités de financement de l’enseignement supérieur à distance des gouvernements et des familles des étudiants traditionnels (jeunes, sans emploi, issus de familles modestes), mais l’UVA a aussi élargi le public cible de l’enseignement à distance aux étudiants traditionnels et à la formation initiale, tout en étant un vecteur des technologies de l’information et de la communication en Afrique, et un vecteur du modèle anglo-saxon de l’enseignement supérieur caractérisé par le fait d’être financièrement à la charge de l’étudiant.
L’UVA participe ainsi à la création du marché de l’enseignement supérieur à distance africain tant du point de vue de la création des besoins que de la formation des consommateurs potentiels. Or le marché de l’enseignement à distance est, selon la BAD, très prometteur pour le marché des TIC. Selon W. Saint, « en 1997, le marché de l’enseignement à distance par Internet valait 178 millions de dollars USD et représentait environ 3 % du total du marché de la formation et de l’éducation. En 2001, l’enseignement par Internet devrait devenir un marché de 1,8 milliard USD, et fournir 15 % du marché de la formation et de l’éducation » (Saint, 1999, p.39).
L’implantation via l’UVA de ce marché de l’enseignement supérieur à distance au sein des universités traditionnelles n’est pas sans impact sur leurs modèles organisationnels puisque selon la BAD, « l’émergence de nouveaux types d’institutions d’enseignement supérieur et de nouveaux systèmes de concurrence, incite les anciennes institutions à modifier leurs modes de fonctionnement et méthodes d’enseignement et à tirer le meilleur parti des opportunités offertes par les TIC » (BAD, 2004, p.19).
L’Université Virtuelle du Sénégal (UVS), sixième université publique24 du Sénégal créé en 2013, et l’Université virtuelle Panafricaine (UPA), Bien Public Régional25 lancé par l’Union Africaine en 2011, illustrent en effet ces nouveaux types d’institution qui émergent dans l’espace d’enseignement supérieur africain actuellement en construction (African Higher Education and Research Space (AHERS26)) et dans lequel le métier d’enseignant-chercheur est appelé à se transformer comme en témoigne l’entretien avec d’une part, la livraison des cours développés par l’UVA aux universités partenaires africaines, et d’autre part la production collaborative des contenus pédagogiques de l’UVA par les enseignants des universités partenaires africaines.
Commentaires et améliorations
Bien que la proposition initiale semble intéressante aux deux responsables de rubrique investis dans le travail de relecture, la perspective de sa publication nécessite de multiples améliorations en termes de contextualisation et de cadrage théorique, de contenus et de structuration, ainsi qu’en termes de méthodologie.
Contextualisation et cadrage théorique
Les manques d’éléments de contextualisation sont doubles : les premiers, relatifs à la contextualisation de la thèse, induisent le manque de cadrage théorique ; les seconds, relatifs à l’objet de l’entretien lui-même, en l’occurrence l’UVA, font défaut à la compréhension même de l’entretien et de la première analyse qui l’accompagne.
En effet, bien qu’il soit indiqué en fin d’introduction de la version initiale que l’entretien a été effectué dans le cadre de la recherche doctorale, l’absence de présentation du sujet de thèse ne permet pas de situer la proposition de publication, que ce soit en termes de devenir du texte dans la thèse ou de cadrage théorique.
Contextualisation de la publication et cadrage théorique
Il s’agit en effet de la deuxième publication s’appuyant sur le travail doctoral effectué en vue de la soutenance d’une thèse portant sur la structuration par les TIC et l’enseignement en ligne de l’enseignement supérieur public en Afrique francophone.
L’aspect propédeutique, et donc structurant de l’enseignement à distance pour l’enseignement supérieur traditionnel, est à resituer dans le cadre du paradigme de l’industrialisation de l’éducation tel que défini par les chercheurs du Séminaire « Industrialisation de la Formation » (SIF27) fondé et animé par Elisabeth Fichez et Pierre Moeglin depuis 1991. Ce séminaire a donné lieu à la production en 2016 de l’ouvrage intitulé « Industrialiser l’éducation. Anthologie commentée (1913-2012) »28 désormais librement accessible29. Depuis 2016, le SIF est partenaire du Groupement d’Intérêt Scientifique « Innovation, Interdisciplinarité, Formation » (GIS-2IF30).
Contextualisation de l’UVA
Concernant l’UVA, il semble effectivement indispensable de mettre en perspective son lancement avec les initiatives antérieures ou concomitantes dans le même domaine pour mettre en évidence les caractéristiques spécifiques de l’UVA qui font l’objet de l’analyse.
Selon W. Saint31 et K. Awokou32, la première expérience d’enseignement à distance en Afrique francophone remonte à 1970 avec des cours proposés par l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville au Congo. Plusieurs dispositifs d’enseignement à distance, qui mettaient l’accent sur le télé-enseignement ou la radio éducative ont ensuite été mis en place en Afrique de l’Ouest (Awokou, 2007, p.24) mais les deux plus importants dispositifs d’enseignement à distance d’Afrique francophone sont ceux de l’UVA, initiée par la Banque mondiale, et de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) (Awokou, 2007, p.139).
Toutefois, l’UVA se distingue des initiatives lancées avant ou à la même période en Afrique francophone telles que l’Université par satellite (UNISAT), le Réseau africain de formation à distance (RESAFAD), ou encore l’Université virtuelle Francophone (UVF), par le fait que l’UVA est une entreprise privée et que son modèle d’enseignement à distance s’appuie exclusivement sur Internet et les TIC via le système VSAT de diffusion par satellite.
L’Université par satellite (UNISAT) de l’AUF
En effet, en 1992-1993, l’Association des universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF devenue AUF33) avait lancée l’Université par satellite (UNISAT) en partenariat avec le Consortium international francophone de formation à distance (CIFFAD devenu OIF34). L’UNISAT « a organisé plusieurs formations en médecine tropicale dans plusieurs formations diplômantes au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Mali et au Togo via le Système francophone d’édition et de diffusion (Syfed) de l’AUPELF-UREF » (Awokou, 2007, p.124). Cependant, selon Loiret et Al.35, son modèle pédagogique, constitué d’un ou deux devoirs à rendre et d’un examen final sanctionnant le diplôme, était équivalent au modèle classique d’enseignement par correspondance mais sur support télévisé et sans dispositif d’accompagnement ou de soutien aux étudiants (Loiret, 2013, p.17).
Le RESeau Africain de Formation A Distance (RESAFAD) de l’OIF
Le RESAFAD lancé en 1996-1997 par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), s’appuie sur un consortium36 universitaire composé de plusieurs universités et établissements français, du CNED, de la FIED, de l’INRIA, de l’AUF, de l’UNESCO et des universités africaines, et mobilise tous les supports disponibles (imprimé, radio, cassettes, CD, etc.) de façon différenciée selon les public visés (Awokou, 2007, p.124). Selon K. Awokou, le « diplôme d’université de communicateur multimédia, dispensé à distance » de l’Université du Maine, lancé par le RESAFAD en 1999 est une formation hybride associant enseignement en ligne et en présentiel (K. Awokou, 2007, p.119).
L’Université Virtuelle Francophone (UVF) de l’AUF
Concernant l’UVF lancée la même année que l’UVA (1997) par l’Agence Universitaire de Francophonie (AUF37), Pierre-Jean Loiret - actuellement directeur de la Direction des partenariats de l’AUF38, dont la thèse39 soutenue en 2007 porte sur l’UVA, et qui en tant que Chef de projet à l’AUF en 1998 sur le thème « formation ouverte et à distance et nouvelles technologies éducatives » a participé à la mise en œuvre du dispositif qui a succédé à l’UVF en matière d’enseignement à distance (Loiret, 2007, p.13 et p.249) – estime qu’il s’agit d’un « concept autant politique qu’éducatif »40 qui présente des points communs mais aussi des différences fondamentales avec l’UVA.
En accord avec ce point de vue, A. Benchenna estime que l’exportation de l’offre française de formation en ligne s’inscrit dans une stratégie globale de diffusion de modèles organisationnels fondés sur les logiques marchande et industrielle (Moeglin, 1998), et que « les enjeux de l’exportation de l’offre française ne seraient donc pas seulement linguistiques mais aussi, et à la fois, économiques et politiques »41.
En effet, l’UVF est décrite par P.-J. Loiret comme « une réponse politique des Etats partageant la langue française au lancement de l’Université virtuelle africaine, à influence anglo-saxonne » (Loiret, 2007, p.247). Et la transformation en 2000 de l’UVF (qui n’existera en tant que telle que de 1997 à 1999) en réseau de Campus Numériques Francophones (CNF) rappelle l’expérience dans les années 2000 de F. Thibault qui note que dans la mesure où « les universités virtuelles étaient sous les feux de la rampe [et] il était opportun voire cohérent au regard de la politique nationale de proposer le syntagme de "Campus numérique" qui offrait le double avantage de s’affilier à un courant international parti des Etats-Unis tout en s’en distinguant »42.
UVA et UVF
L’UVA et l’UVF, outre le fait d’être toutes deux des « universités virtuelles », ont en commun de considérer d’une part que les formations dispensées dans les universités africaines sont inadaptées à l’évolution des connaissances et aux besoins de la société, et d’autre part que les TIC ont le potentiel pour apporter des solutions.
Cependant, pour P.-J. Loiret, alors que l’UVF est un « concept fédérateur »43 des actions entreprises par l’AUF qui « ne prône pas de révolution technologique mais une utilisation en juste proportion, avec un « optimisme raisonné » (Wallet, 2004), des technologies dans l’enseignement » (Loiret et al., 2013, p.20) et qui considère qu’il est indispensable pour l’acceptation du projet d’Université virtuelle par la communauté internationale de l’appuyer sur des réseaux éprouvés et actifs ainsi que sur les relations existantes entre le nord et le sud, l’UVA au contraire met en avant les TIC et Internet et s’inscrit « dans une volonté de rupture radicale avec le système académique traditionnel : continuisme contre discontinuisme pour reprendre un concept de Pierre Moeglin (2002) » (Loiret et al., 2013, p.19-20).
Ainsi, alors que pour l’UVA, les universités africaines ne peuvent être sauvées « que de l’extérieur et à condition de leur mise en concurrence avec le secteur privé » (Loiret et Al., 2013, p.19), pour l’UVF « ce qui est en question c’est la place de l’Université publique face à l’internationalisation des formations et à la concurrence de nouveaux acteurs » (Loiret et Al., 2013, p.20). Dans cette perspective, alors qu’à ses débuts l’UVA achète44 des contenus aux universités du nord pour les diffuser à celles du sud, l’UVF souhaite favoriser les cultures locales et leur diversité par le développement partagé des contenus pédagogiques entre les universités du nord et du sud. Ce que l’UVA commencera à envisager à partir de 200245 peu avant d’être présentée par la Banque mondiale comme une « une organisation intergouvernementale indépendante »46.
Selon D. Peters et T. Hütten47, l’UVA est un dispositif fournisseur de contenus qui vient s’ajouter à la structure d’une institution partenaire, tandis que l’UVF est constituée de services qui s’intègrent dans la structure existante d’une université partenaire pour offrir des cours, des cursus, mais aussi une structure d’appui aux enseignants-chercheurs pour l’amélioration de l’enseignement de l’université partenaire.
Ainsi, l’UVA se caractérise à ses débuts par son statut d’entreprise privée offrant de l’enseignement en ligne basé sur la diffusion d’internet par satellite, et dont les contenus pédagogiques importés des pays occidentaux font l’objet d’une négociation commerciale. L’UVA est ensuite transformée en Organisation intergouvernementale indépendante (2003) et délivre entre 2004 et 2009 des diplômes internationaux provenant d’universités d’Australie et du Canada. Ces diplômes internationaux seront abandonnés48 en 2007 en raison de leur coût. L’UVA se réoriente alors vers le développement local des contenus et la formation des enseignants. A cette période, l’UVF n’existe plus en tant que telle, celle-ci ayant été transformée en réseau de Campus Numériques Francophones en 1999.
Contenus et structuration de l’analyse
Les développements précédents et assez conséquents témoignent de l’importance de la contextualisation théorique et empirique de l’objet d’étude pour sa compréhension par un tiers. Toutefois, les commentaires des relecteurs concernant les contenus et la structuration de l’analyse suggèrent d’autres améliorations toutes aussi importantes. En effet, outre l’absence de présentation du plan dans la version initiale, et d’une conclusion digne de ce nom, son manque de structuration par des sous-titres a limité la portée de l’analyse de l’entretien concernant la participation de l’UVA à la construction du marché de l’enseignement supérieur en Afrique francophone, notamment en ce qui concerne les liens entre organisme privé et fonds publics qui sont apparus comme flous aux relecteurs et qui auraient dû amener à évoquer le positionnement de l’UVA sur le marché de l’enseignement supérieur via les Moocs ainsi que la place de ces-derniers dans les ambitions de l’UVA.
Liens entre organisme privé et fonds publics
Les liens entre organisme privé et fonds publics sont en effet ambigus puisque comme en témoigne l’entretien, « les frais d’inscription sont la principale source de revenus » et bien que l’UVA s’emploie à en développer d’autres, son financement repose principalement sur les organisations internationales d’aide au développement, notamment la Banque mondiale lors du lancement de l’UVA puis la Banque Africaine de Développement à partir de 2004, dont les fonds investis dans l’UVA auraient potentiellement pu être attribués aux universités publiques.
S’il n’y a pas d’échanges financiers directs entre l’UVA et les universités publiques, et que ces dernières bénéficient in fine d’un onéreux centre d’enseignement en ligne, les universités publiques partenaires de l’UVA doivent fournir à l’UVA les locaux et leur entretien par du personnel mis à disposition (Loiret, 2007, p.167). Par ailleurs, si l’UVA ne perçoit pas de subventions gouvernementales, hormis par le biais du financement de programmes communs entre l’UVA et les universités partenaires, le cas du Nigéria évoqué par l’interviewé montre que cela est tout de même possible.
Moocs, Moop, et Cadre d’Assurance Qualité
Comme souligné dans l’entretien, le développement de Ressources Educatives Libres (REL) justifie l’octroi des subventions de la BAD, de même que le développement de Moocs comme en témoigne le financement par la BAD d’une étude de faisabilité qui marque le lancement de l’UVA dans le phénomène des Moocs au début de l’année 2013 selon le rapport annuel 2014-2015 de l’UVA49.
Compte tenu de son domaine d’expertise dans la formation ouverte, à distance et le e-Learning, le lancement de l’UVA dans les Moocs peut sembler tardif. Cependant, l’UVA estime qu’« il s’agit là d’une importante avancée vers la mise en place de Moocs mieux adaptés au contexte local » (UVA, Rapport annuel 2014-2015, p.24) et les prévisions de l’UVA pour la période 2014-2019 font une place importante à ce type de livraison de contenus.
Le lancement de l’UVA dans les Moocs
Ainsi, l’UVA lance sa plateforme50 Moocs le 16 mars 2015 avec son premier Mooc conçu en collaboration avec le Commonwealth of Learning (COL), intitulé « Utilisation des TIC pour enrichir l’enseignement et l’apprentissage »51. Ce premier Mooc sera délivré par l’UVA du 9 mars au 19 avril 2015, soit pendant 6 semaines à raison de 4 à 6h hebdomadaires. Le deuxième Mooc de l’UVA portera sur la « Gestion de la Paix et la résolution des conflits »52 et sera délivré entre le 14 mars et le 8 avril 2016, soit pendant 4 semaines à raison de 4 à 6h hebdomadaires, via le Campus Virtuel pour le Développement et la Paix (Virtual Campus for Development and Peace VCDP) lancé par l’UVA en 2010-2011.
Par conséquent, le poids des Moocs avant 2015, que ce soit dans l’offre de formation de l’UVA ou dans le nombre d’étudiants est nul. En revanche, l’impact de la prévision de développement de Moocs est perceptible dans la ventilation des 15 706 étudiants inscrits à l’UVA entre 2012 et 2015 selon le type de formation, présentée dans le tableau ci-dessous extrait du rapport 2014-2015 de l’UVA (p.35) :
En effet, le type « Formations de courte durée », dans lequel les Moocs sont inclus, comptabilise 9889 étudiants en 2012, puis seulement 320 en 2013 et 142 en 2014 avant de remonter à 2226 en 2015, année de lancement du 1er Mooc de l’UVA qui a compté plus de 1700 participants (UVA, Rapport annuel 2014-2015, p.47).
La place des Moocs dans les ambitions de l’UVA
Il est intéressant de noter que le lancement de l’UVA dans les Moocs (2013) survient en même temps que son projet53 d’accéder au statut d’université à part entière (2012) qui donne aussi lieu à la diversification des modes de livraison des contenus (eLearning, mode mixte, face à face, Mooc).
Pour l’UVA, les Moocs sont des outils marketing permettant de proposer des exemples de cours incitant les étudiants à s’inscrire à l’UVA (UVA, Business Plan 2014-2019, p.24) et devraient représenter en 2021-2022 plus de 80% des étudiants de l’UVA selon le tableau ci-dessous extrait du Business Plan 2014-2019 de l’UVA (p.46) :
De plus, selon l’exposé54 du Recteur de l’UVA, les Moocs correspondent à des cours et non à des programmes, le taux de réussite est très faible (inférieur à 10%) et il n’y a pas de système d’accréditation formelle. C’est pourquoi l’UVA envisage de développer des MOOP (Massive Open Online Programs) qui seront des programmes accrédités dans l’ensemble des pays membres de l’UVA. Dans cette perspective, le partenariat interinstitutionnel est considéré par l’UVA comme la clé permettant à l’UVA de capitaliser sur les Moocs (UVA, Business Plan 2014-2019, p.25).
Diffusion d’internet par satellite, Commonwealth of Learning (COL) et Assurance-Qualité
Pour aller un peu plus loin dans l’analyse de l’UVA, il semble également intéressant de noter que selon B. Stiegler, « les satellites privent les pouvoirs territoriaux du contrôle des systèmes de transmission et ouvrent un espace de communication où dominent ceux qui disposent des technologies les plus performantes hors de toutes les contraintes propres aux droits nationaux. Cette soustraction technique et factuelle aux législations nationales se traduit par une bataille des normes entre groupes industriels multinationaux à laquelle les administrations territoriales assistent plutôt qu’elles n’y prennent part »55.
Et de remarquer que le lancement du premier Mooc de l’UVA s’est effectué en partenariat avec le Commonwealth of Learning (COL), organisation intergouvernementale qui œuvre à la promotion de l’éducation ouverte, à distance et du eLearning dans les Etats du Commonwealth. Ce partenariat avec le COL est cependant antérieur au lancement du premier Mooc de l’UVA puisque la version finale du Cadre d’Assurance Qualité (CAQ56) pour les programmes de l’UVA s’inspire du CAQ de l’Université virtuelle pour les petits États du Commonwealth (Virtual University for Small States of the Commonwealth, VUSSC) et s’appuie donc sur les lignes directrices du Commonwealth of Learning (COL) qui selon l’UVA intègrent les meilleures pratiques et normes employées par les commissions d’accréditation des États-Unis et des organismes d’AQ dans les pays du Commonwealth (UVA, CAQ, 2014, p.5).
Selon l’UVA, le CAQ de l’UVA n’était pas un document prescriptif mais un outil descriptif destiné à guider l’alignement des processus d’assurance-qualité sur les pratiques existantes dans une institution donnée. Toutefois, plusieurs institutions partenaires ont dû adapter ou intégrer les critères de qualité proposés pour répondre aux besoins des formations existantes ou nouvelles offertes dans leurs établissements (UVA, CAQ, 2014, p6-7).
Ainsi, l’UVA se présente en Afrique francophone non seulement comme une courroie entre secteurs privé et public, mais aussi comme un vecteur des normes d’assurance qualité anglo-saxonnes et américaines dans l’enseignement supérieur africain, y compris en Afrique francophone, puisque l’objectif du Cadre d’Assurance de la Qualité (CAQ) de l’UVA est de permettre « l’élaboration d’un document conforme aux normes internationales et à utiliser pour les programmes que l’UVA offre avec les institutions partenaires » afin que l’UVA soit « en mesure de vérifier la qualité de ces programmes et institutions qui ne disposent pas d’un CAQ » » (UVA, Rapport annuel 2014-2015, p.26).
Méthodologie
Le dernier point, mais non des moindres, qui a fait l’objet de commentaires aborde l’aspect méthodologique de l’entretien ainsi que sa caractérisation en tant qu’entretien « commenté », notamment par rapport à « l’entretien d’explicitation ».
La proposition de publication initiale n’avait pas pour objectif de lancer un nouveau type d’entretien que serait « l’entretien commenté » mais simplement de publier un « morceau de terrain » ayant alimenté le travail doctoral.
Sans connaissance de l’existence du type précis de « l’entretien d’explicitation », l’entretien effectué via Skype après un premier contact avec l’interviewé via LinkedIn, se caractérisait comme un simple entretien semi-directif dont les seules précautions volontairement prises pour le mener ont consisté à poser des questions aussi ouvertes que possible et à rebondir autant que possible sur les réponses de l’interviewé.
Ainsi, la découverte à postériori de l’entretien d’explicitation, permet de mettre en évidence certaines erreurs commises dans l’entretien effectué, et d’apprécier les caractéristiques des réponses qui leur font suite.
L’entretien d’explicitation
L’entretien d’explicitation est un type précis d’entretien développé par Pierre Vermersch57, psychologue chargé de recherche au CNRS, pour recueillir des informations non sur les représentations mais sur le déroulement de l’action. Cette orientation de l’entretien vers l’action présente plusieurs avantages, en particulier le fait de poser des questions dont les réponses peuvent être confrontées à des moyens de validation58.
Trois points caractérisent cette technique d’entretien59 : le primat de la référence à l’action ; la mobilisation d’un type particulier de mémoire qu’est la mémoire rétrospective contextualisée dans l’action ; une conscience aigüe de l’influence des questions sur les réponses.
Pour minimiser l’influence des questions sur les réponses, la technique de l’entretien d’explicitation propose soit de poser des questions qui reprennent les mots et sujets évoqués par la personne, soit de poser des questions « vide de sens » permettant de désigner précisément, sans le nommer, l’objet des pensées de la personne, par exemple « Comment faites-vous ce que vous faîtes, au moment où vous le faites ? ».
Relecture de l’entretien au regard des caractéristique de l’entretien d’explicitation
Concernant le 1er point de la référence à l’action, si l’entretien effectué n’est pas orienté vers l’activité de l’interviewé au sein de l’UVA, ce dernier a toutefois été enquêté en tant qu’acteur de l’UVA sur la base de son profil de poste publié sur LinkedIn.
C’est lors du premier contact via LinkedIn que l’interviewé a signalé que son profil LinkedIn n’était plus à jour et qu’il occupait désormais un poste dans une autre structure que l’UVA. Toutefois, son expérience à l’UVA restait intéressante au regard du sujet de thèse et c’est sur cette base que l’entretien a été mené. C’est donc tout à fait par hasard que cet entretien se soit déroulé précisément au sujet d’une expérience passée faisant appel à sa mémoire rétrospective.
Le troisième point caractéristique de l’entretien d’explicitation est bien entendu le plus délicat puisqu’en l’absence de connaissance de cette technique d’entretien, les précautions prises dans la façon de poser des questions ont laissé à désirer, notamment au fur à mesure de l’avancement dans l’entretien semi-directif.
L’entretien se voulant semi-directif, la première question est une question ouverte (Quelles sont les principales activités menées par l’UVA ?). Les deux questions suivantes se rapportent bien à des points évoqués dans la réponse de l’interviewé à la première question, mais avec d’autres mots que ceux de l’interviewé et l’ajout de certaines informations externes à l’entretien.
La quatrième question cherche à obtenir des précisions sur la livraison des contenus, non évoquée par l’interviewé, et s’appuie pour cela sur des exemples de réponses possibles. Cette question est donc mal adaptée car inductive. Toutefois, la réponse de l’interviewé est assez concise et ne reprend pas les pistes suggérées.
La cinquième question concernant l’impact de la démarche de l’UVA pour les universités traditionnelles correspond au sujet de thèse mais reste assez ouverte dans le sens où l’impact peut être important, moindre ou même inexistant. Il semble que l’interviewé ait bien réceptionné cette question comme une question ouverte puisqu’il commence par dire « je vais donner mon ressenti personnel… ».
Dans sa réponse, l’interviewé indique que l’impact est faible pour une partie des universités par ailleurs faiblement impliquées dans les activités de l’UVA, ce qui a amené à poser de façon spontanée la cinquième question dont l’objectif était d’évaluer l’importance du facteur financier dans la non implication de ces universités (« Est-ce que les universités d’accueil gèrent les budgets alloués aux centres UVA ? »).
La réponse de l’interviewé se révélant succincte, l’interviewé est relancé sur l’impact de l’UVA dans l’enseignement supérieur africain compte tenu de la faible implication de certaines universités qu’il avait évoqué. Question à laquelle l’interviewé répond beaucoup plus longuement en complétant la cinquième question.
La huitième question, « Est-ce qu’on peut dire que l’UVA permet d’accueillir plus d’étudiants dans les universités partenaires et donc d’augmenter l’accès à l’enseignement supérieur ? », reprend ce que l’interviewé a évoqué dans la question précédente : « j’pense que déjà c’est un très bon concept dans le sens où avec le nombre d’étudiants qui arrivent sur le marché au niveau universitaire chaque année, les universités physiques traditionnelles ne peuvent pas suivre. Par exemple au Nigéria ils construisent je ne sais pas combien d’universités par an, mais ça suffit pas à absorber le nombre d’étudiants qui arrivent en études supérieures ». Cependant il est dommage de constater que là encore la question utilise d’autres mots que ceux de l’interviewé, et que la réponse est d’ailleurs là aussi succincte.
La neuvième question concernant le financement de l’UVA par des subventions publiques qui devait amener à aborder le thème de l’autofinancement connu pour être un objectif important de l’UVA mais plutôt mal décrit en ce qui concerne les moyens de mise en œuvre effective, semble complètement décalée, n’étant ni ouverte, ni issue des réponses de l’interviewé. Là encore, la réponse est plutôt courte.
Les deux questions suivantes avaient pour objectif de comprendre ce que désigne le service de consultance, elles sont également inductives puisque dans l’objectif de les rendre compréhensibles, elles s’appuient sur des exemples (UVS pour la première, VUCCnet campus pour la seconde). Les réponses de l’interviewé sont pertinentes mais plutôt courtes.
Ne connaissant pas la structure AIMS, la onzième question est aussi une question spontanée survenue au cours de l’entretien du fait que l’interviewé l’ait évoqué. La réponse est également relativement courte.
La dernière question (Est-ce que l’UVA a atteint ses objectifs en termes de quantité d’étudiants ?) tentait de rebondir sur la dernière phrase de l’interviewé de la question précédente : « disons que l’UVA c’est plus une idée de quantité en essayant d’avoir une bonne qualité, à AIMS c’est plus vraiment de la qualité en essayant d’avoir de la quantité ». Le but était de revenir sur l’impact de l’UVA sur ce point. L’interviewé a alors évoqué les Moocs sur lesquels il n’avait pas été questionné et qui auraient pu, mais n’a pas, donné lieu à une question ouverte sur ce point.
Ainsi, il parait évident que les caractéristiques de l’entretien d’explicitation auraient pu favoriser la conduite de l’entretien. Tant dans son étape de préparation, que dans sa phase de recueil d’information auprès de l’interviewé.
Cependant, la découverte à postériori de cette technique d’entretien, si regrettable qu’elle soit, permet néanmoins de mettre en évidence la qualité des réponses obtenues selon le type de question posée. Aux questions ouvertes, les réponses sont plutôt bien développées, aux questions spontanées ou qui s’appuient sur des exemples de réponses ou même à celles qui reprennent les sujets évoqués par l’interviewé mais avec d’autres termes, les réponses sont plus succinctes.
Conclusion
A l’issue des modifications proposées pour compléter la version initiale de la proposition de publication, il apparait évident que le manque de contextualisation a induit le manque de cadrage théorique ainsi que le manque d’éléments essentiels à la compréhension de l’analyse de l’entretien.
Il apparait également que le manque de structuration de cette première analyse a limité la portée de cette dernière sur des éléments importants tels que le positionnement de l’UVA sur le marché de l’enseignement supérieur public en Afrique francophone ou encore sur son rôle dans l’établissement des normes d’assurance-qualité. Le développement de ces deux derniers points a également permis de mettre à disposition les documents inédits produits mais non publiés par l’UVA que sont le Rapport annuel 2014-2015 et le Business Plan 2014-2019.
Enfin, la relecture de l’entretien à la lumière des caractéristiques de l’entretien d’explicitation a permis de prendre conscience du développement moindre des réponses obtenues aux questions mal adaptées, que ce soit parce que celles-ci sont spontanées, en appui sur des exemples ou qu’elles ne reprennent pas les mots de l’interviewé.
Ainsi, le caractère « commenté » de l’entretien est ici élargi à l’analyse et témoigne des apports de la relecture et des améliorations qui en résultent dans le cadre d’une recherche doctorale.