Plan
1 - Introduction
Buffon (1749), dans son premier discours, De la manière de traiter de l’histoire naturelle, ne sépare pas les animaux domestiques des animaux sauvages. Néanmoins, dans son descriptif, il insiste sur l’histoire des animaux et, pour les animaux domestiques, sur leurs interactions avec les humains1. En revanche, Geoffroy Saint-Hilaire va plus loin ; Acclimatation et domestication des animaux utiles (1861) intègre la domestication comme un processus social, sinon sociotechnique. Sa visée est clairement orientée, pratique et conjoncturelle et ne correspond pas au processus originel de domestication tel qu’il a commencé il y a plus de 10 000 ans. On commence à savoir qu’il a été lent et pas nécessairement orienté consciemment dans le sens que l’on découvre après coup ; néanmoins l’acte d’appropriation a certainement été conscient sans que les conséquences dans la durée aient été pressenties (Digard 1999).
La définition de la sélection naturelle, chez Darwin, se réfère à celle qu’il a observée chez les éleveurs sélectionneurs, laquelle est « artificielle », construite par les humains, dans le cadre de leurs activités sociales et dans des buts de modification clairement identifiés, qu’il s’agisse de forme, de taille, de comportement, de couleurs, de résistance aux maladies. Depuis, Leroi-Gourhan a abordé la question sous l’angle anthropologique : « il nous semble que doive être reprise de l’extérieur, de la zoologie pure, mais vue par l’ethnologue, cette question de la domestication des animaux qu’on donne, avec l’agriculture, comme le critère d’entrée des sociétés humaines dans leur morphologie actuelle et qui, de ce fait, est un des points les plus importants de l’étude des hommes. » (Leroi-Gourhan 1949 p. 388). La domestication devient ainsi un processus social utilisant dans la durée les caractéristiques du vivant qui, dans les termes d’aujourd’hui, sont des capacités d’évolution (Pelosse 1991). On admet que peuvent être sélectionnés des caractères transmissibles. Les animaux considérés comme domestiqués sont issus, comme toute espèce vivante, d’un processus d’évolution, avec comme seule spécificité que la sélection principale est exercée par des humains et plus précisément par le milieu sociotechnique humain. Une bonne part de la sélection est inconsciente, on élimine systématiquement les déviants dangereux pour les humains avec qui ils vivent. Il est intéressant ici de constater que la domestication ne concerne que les animaux. Les naturalistes de la fin du XVIIIe siècle, et même durant le XIXe siècle, ne semblent pas concevoir qu’il existe un processus semblable chez les plantes. Pour quelles raisons ? Probablement à cause de la proximité des animaux domestiqués, lesquelles partageaient de très près le domus. Jusqu’à la moitié du XXe siècle, la majorité des humains vivaient avec des animaux, parfois jusque dans leur lit2, et n’avait aucune conscience de vivre avec des plantes qui avaient avant tout le statut de décors dans les parcs et jardins ou de moyens de production dans les champs et les potagers pour nourrir les humains et les animaux.
Depuis, ces réflexions préliminaires, il existe une vaste littérature, en croissance rapide, surtout depuis les années 80 du XXe siècle, concernant les animaux et plantes domestiques, la domestication, ses origines éventuelles, ses avantages, ses inconvénients, ses conséquences, son sens. Certains ouvrages sont d’abord des listes descriptives, qui présentent l’origine des différentes espèces et tentent d’être plus ou moins exhaustives. Cela conduit à un nombre d’animaux et de plantes qui peut être considérable (Digard 1988 ; Gaussin 1866 ; Price 2002 ; G. Larson et al. 2014 ; Greger & Fuller 2014). D’autres essayent de tirer des lois générales : qu’est-ce qui rend un animal ou une plante domesticable ? Quelles sont les conséquences de la domestication ? Certains cherchent à creuser la raison de telle ou telle domestication, comment cela s’est fait, la raison des domestications en général, pourquoi celle-ci, en tel lieu pas en tel autre ? Pourquoi certaines domestications ne semblent pas durables et d’autres se sont-elles stabilisées ? (Digard 1992 ; Bensa 2011 ; Besnard et al. 2013 ; Christie et al. 2016 ; Alves et al. 2018 ; Choi & Purugganan 2018). Même si on insiste souvent sur le fait que les humains ne sont pas les seuls à avoir entrepris des domestications – différentes espèces de fourmis, par exemple, ont domestiqué des champignons ou des insectes (Lespès 1868 ; Verheggen et al. 2009 ; Munkacsi et al. 2016 ; Passera 2017) – ou que la domestication n’est finalement qu’une forme de symbiose – ce qui dans ce cas élargit le phénomène à tous les règnes et embranchements du vivant – ce phénomène humain, par son ampleur, la diversité des genres concernés et le nombre d’espèces, reste néanmoins une marque spécifique des humains dans la nature. Il existe au moins six lieux historiques, autonomes, initiateurs de domestication et ce nombre suffit pour considérer que cela n’a pas pu être un hasard : le Croissant Fertile qui lui-même semble être constitué de trois régions indépendantes, la Chine, avec probablement deux régions indépendantes, le Mexique avec au moins les Aztèques, mais peut être aussi les Maya indépendamment, le Pérou avec les Incas, la Nouvelle-Guinée qui pourrait être un multicentre, une sorte de non-centre dans le Sud-Est asiatique, et finalement l’ouest du Sahel. De plus l’expansion à partir de ces lieux a conduit à d’autres lieux de domestication secondaire précoces, montrant que l’apprentissage de la domestication peut être rapide (vallée du Mississippi, vallée du Nil, vallée de l’Indus, Éthiopie …). Jusqu’à l’Europe de l’Ouest, bonne dernière dans ce processus, qui a néanmoins domestiqué au moins le lapin, les opiacés, la betterave et probablement l’avoine et le renne.
En ce XXIe siècle, à chaque instant, le poids global des animaux domestiques sur la planète terre est de l’ordre de grandeur du poids global des humains, soit entre 350 et 500 millions de tonnes, ce qui représente une part très faible du vivant dans sa totalité, mais une part très largement majoritaire (plus de 95%) des animaux de plus de 2 kg ( Walpole et al. 2012 ; Bar-On et al. 2018).
Le poids relatif des plantes domestiques peut s’évaluer à partir de la surface agricole totale plus la surface de parcs, jardins et forêts de production, soit environ 20-25 millions de kilomètres carrés sur 150 millions de kilomètres carrés de terres émergées dont un tiers sont des déserts (froids ou chauds), autrement dit approximativement un quart du végétal. Ce pourcentage coïncide avec les mesures d’HANPP (appropriation humaine des productions primaires) (H. Haberl et al. 2007 ; 2009). Les êtres vivants domestiqués prennent ainsi une place quantitative et qualitative importante dans l’ensemble du biosystème planétaire, accentuant fortement la place globale de l’humanité dans l’ensemble de la biosphère. Non seulement l’humanité est en quelque sorte devenue la clef de voute du système pyramidal alimentaire mondial, mais c’est une clef anormalement lourde, presque écrasante. Il suffit de comparer à il y a seulement trois siècles pour constater que si le positionnement des humains et de leurs commensaux ou obligés n’a pas changé, le poids relatif s’est énormément accru en étant multiplié par plus de 10.
2 - De la domestication dans son sens premier
2.1 - Fondements à l’origine du concept de domestication
Pour qu’un animal ou un végétal, quel qu’il soit, entre dans un processus de domestication par les humains, il faut que ces derniers prennent en charge trois fonctions essentielles de sa vie, et ce, quel que soit le but de cette domestication, s’il y en avait un, ou comment elle s’est mise en place3 :
– Lui assurer les conditions du maintien de son existence, c’est-à-dire, précisément, lui fournir de quoi manger chaque jour et le protéger de ses prédateurs. Cette fonction est extrêmement exigeante pour les animaux, et un peu moins pour les végétaux, car c’est une obligation quasi quotidienne, presque aussi exigeante que de nourrir ses propres enfants, alors que les plantes se sèment spontanément à condition de disposer de terre. Il faut répondre précisément aux besoins spécifiques de l’animal ou de la plante. Cette capacité est directement liée au niveau technique de la société humaine correspondante et à la volonté d’orienter cette technicité dans la création de ces conditions. Cette assurance d’avoir de quoi se nourrir est le propre de tout animal domestiqué. Il cesse de chercher sa nourriture, il la trouve quand il en a besoin, car elle est disponible, là où il se trouve, grâce aux humains. La plante, placée dans les mêmes conditions, produit beaucoup plus.
Du côté humain, apporter la nourriture est une mission. Elle peut être contraignante et conduire à différents rituels ou organisations commerciales, selon les conditions géographiques et climatiques (transhumance, nomadisme, étables hivernales, aliments pour chiens, chats, oiseaux, etc.). De fait domestiquer des animaux et des plantes crée une lourde contrainte qui est compensée par le plaisir de vivre entouré d’un milieu vivant accueillant. Le jardin perçu comme paradis est l’ultime récompense de la domestication. Au point qu’on peut se poser la question si le concept de paradis n’est pas au contraire issu de celui de jardin. En inventant le jardin, les humains ont trouvé le paradis : un monde entièrement construit pour le plaisir des sens et respirant le calme, la beauté et la paix. En quelque sorte, la nature reconstruite.
– Lui permettre de se reproduire, c’est-à-dire offrir aux individus de l’espèce en domestication de rencontrer au moins un individu du sexe complémentaire dans des conditions qui permettent une fécondation, une naissance viable et une poursuite de la vie de descendants. Le cas des plantes est, sur cet aspect, plus complexe biologiquement parlant, car la biologie de la reproduction est beaucoup plus variée chez les plantes que chez les mammifères ou les oiseaux, mais souvent plus simple pratiquement, car on peut obtenir des plantes un croisement indépendamment de leur volonté, ce qui n’est pas toujours le cas chez les oiseaux ou les mammifères.
Il s’agit d’assurer la reproduction du groupe d’êtres vivants domestiqués et donc de répondre à ses exigences naturelles. Certaines conditions naturelles, sur ce sujet, peuvent empêcher radicalement la domestication. Certaines espèces animales ne se reproduisent pas enfermées (ou limitées dans un espace contrôlé) ou en présence d’humains. Aujourd’hui, les techniques de fécondation in vitro permettraient peut-être de rompre l’obstacle, mais ce n’est pas certain si les parents doivent s’occuper de leurs petits. Certaines espèces végétales peuvent demander une maitrise de la pollinisation. La réalisation de la reproduction peut donc demander une réelle technicité, surtout si le choix des partenaires est réalisé volontairement par les humains., et demande quoi qu’il en soit un environnement technicisé. On sait que la domestication des dattiers, qui est vieille de plus de 4 000 ans, demandait des fécondations croisées, réalisées par les humains qui grimpaient le long des stipes.
Ces deux fonctions, assurées par les humains, génèrent un surplus de croissance de la population en cours de domestication. Les humains prennent ainsi la place globale du milieu naturel de chaque espèce domestiquée et exercent une sélection sur le nombre de descendants à chaque génération, par une ponction qui pouvait être alimentaire. On gardait toujours le meilleur pour la reproduction. Une sélection artificielle, humaine prend la place de la sélection naturelle, pas toujours consciente de toutes ses implications, surtout à l’origine, mais toujours sous contrainte de choix sociotechniques, laquelle fait diverger le groupe domestiqué du groupe d’origine. Cette troisième fonction dépend directement de la technique, car dans les conditions humaines, les choix de maintien en vie des petits dépendent des besoins des humains. En particulier, une sélection générale contre l’agressivité a eu lieu pour presque toutes les espèces animales domestiquées, excepté pour les races destinées au combat.
Dans ce contexte d’un milieu transformé par les humains, les populations d’êtres vivants domestiqués vivent, se reproduisent et évoluent. On voit apparaitre des races particulières de chiens, de chats, de vaches, de poules ou de poissons, des variétés ou cultivars (cépages pour la vigne) pour les plantes. L’évolution des êtres vivants domestiqués est « pilotée » par la sélection humaine implicite ou explicite. Dans certains cas, les populations, complètement intégrées au monde humain, ne peuvent plus vivre et se reproduire en dehors de ce monde. C’est le cas, par exemple de certaines races de chien (Testot 2018), de mouton, de vache (comme la Bleu Blanc Belge) et du maïs ou du blé.
Les marques visibles de la domestication correspondent aux besoins des humains pour assurer les trois fonctions décrites ci-dessus. Par exemple, le chien digère désormais l’amidon, et depuis longtemps. On peut constater qu’il y une relative indépendance fonctionnelle entre ces trois fonctions. Les raisons de la domestication sont également indépendantes de ces fonctions. Elles ne sont ni évidentes ni simples et peuvent être très différentes pour chaque espèce en domestication et évoluer dans la durée. Pour les plantes, la non-déhiscences des grains ou des fruits est une caractéristique assez générale des plantes domestiquées, conséquence directe d’une sélection organisationnelle : les produits sont récoltés sur pied et non ramassés par terre ce qui occasionnerait une perte considérable et un effort plus important.
2.2 - Les raisons principales de la domestication
Les raisons originelles de la mise en place du processus de domestication ne sont pas venues uniquement des humains, même pour la domestication du loup (en chien). Il s’est agi d’abord de rencontres et « d’apprivoisement réciproque » (Morizot 2016 ; Testot 2018), cela peut venir du hasard (Digard 2010). Ce point de vue sera repris et approfondi plus loin. Ces raisons peuvent évoluer, voire se transformer selon les espèces et souvent en fonction des relations établis entre les humains et les êtres vivants en question. Autrement dit, si une catégorisation des animaux et plantes domestiquées, selon leur raison de domestication, est possible et se montre relativement robuste, certains animaux ou végétaux ont pu passer d’une catégorie à l’autre selon les évolutions des sociétés.
Les raisons qui conduisent à domestiquer des êtres vivants sont variées mais ont un lien avec la technique. Et les humains, avant d’entreprendre la première domestication, avaient transformé l’usage technique en passant de l’ordre du possible en fonction des contextes à celui de la nécessité continue pour leur survie. Tout être vivant est capable de mettre en œuvre des opérations nécessaires pour sa survie. Elles sont généralement considérées codées génétiquement, même si du « jeu » existe. De la bactérie au ver de terre, on voit les êtres vivants employer des procédés qu’on pourrait, à première vue, qualifier de technique, mais dont on découvre qu’il s’agit de processus. Il ne s’agit pas, et encore moins chez les végétaux, « d’une authentique activité technique chez les animaux, impliquant éventuellement des outils, mais surtout des séquences de gestes opératoires et des représentations » (Guchet 2010 ). Néanmoins parmi les animaux, on peut distinguer ceux qui apprennent et transmettent à leurs descendants des techniques (grands singes, prédateurs sociaux, par exemple) et ceux qui sont capables de démontrer des capacités de séquences opératoires, même complexes (l’araignée qui tisse sa toile), sans apprendre du nouveau ou l’enseigner. La caractéristique unique de l’espèce humaine est fondée sur la nécessité intérieure d’apprendre à vivre, techniquement, sa vie d’humain. Sans cette capacité d’apprendre des savoir-faire, qui sont de fait des savoir-vivre, aucun humain ne survit (Dubois 2020a, 2020b).
La variabilité intrinsèque de tous les êtres vivants les conduit à pouvoir être sélectionnés – a minima – dans le milieu sociotechnique humain, ce qui est l’essence de la domestication, et dans certains cas à être préférentiellement choisi aussi par leurs capacités à apprendre (apprivoisement, dressage). Analogiquement, nous montrerons que le non-vivant peut aussi, par sa malléabilité subir un processus de domestication.
On peut décrire quatre grands groupes de raisons de domestiquer ou de poursuivre la domestication de plantes ou d’animaux :
– Pour l’apport alimentaire nécessaire à la survie ; la variété des plantes et animaux domestiqués couvre, de fait, depuis quelques millénaires, l’ensemble des besoins alimentaires humains. Le complément par la pêche compense surtout les carences éventuelles en Iode et acides gras polyinsaturés dits Oméga 3, et peut désormais être obtenu par des élevages de poissons. Quant au complément par la chasse, il relève de problématiques culturelles et non alimentaires, sauf pour les rares groupes humains restés strictement chasseurs-cueilleurs et désormais en cours d’extinction.
– Pour l’apport de biens spécifiques correspondant aux modalités techniques d’existence humaine : vêtements, outils en os et matériaux divers, colorants, arômes et parfums, médicaments, poisons, amendements agricoles. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, les êtres vivants domestiqués contribuaient en grosse part à satisfaire ces besoins, mis à part les matériaux dits inertes comme les pierres et marbres, l’argile, les métaux. On peut relever que certains bois venaient (et viennent toujours) d’arbres sauvages, des fourrures venaient d’animaux sauvages (mais même les visons sont désormais élevés pour la production de leur fourrure), et des huiles venaient des baleines (désormais interdites). Depuis, d’abord en Amérique et en Europe, puis progressivement dans le monde, l’activité chimique fondée sur des sources fossiles a pris (à tort ou à raison) une part croissante, devenue dominante, de la réponse à ces besoins.
– Pour des besoins énergétiques lesquels ont existé dès la « domestication du feu », c’est-à-dire bien avant l’apparition d’Homo sapiens. Ils se sont séparés en quatre grands secteurs, la cuisson des aliments, le chauffage des locaux, les transports et l’activité industrielle. Là aussi, avant l’arrivée du charbon puis du pétrole et du gaz, ce sont les végétaux (dont les arbres) et les animaux qui apportaient toute l’énergie nécessaire. Une bonne part des apports végétaux venaient d’arbres qui n’étaient pas domestiqués ou en cours d’un lent processus de domestication. Aujourd’hui, les énergies fossiles (stocks géologiques de populations bactériennes ou végétales) représentent plus de 80% des énergies d’origine organique, le reste (moins de 20%) reposant sur les flux de production primaire de biomasse végétale (mixte d’une grande majorité d’êtres vivants domestiqués et d’un peu de sauvages) à destination énergétique. Rebasculer du fossile vers le vivant ne peut avoir lieu sans diviser d’abord par quatre la quantité totale d’énergie consommée… Sinon toute la biosphère y passerait pour finalement s’éteindre. On ne peut impunément passer de l’usage d’un stock à l’usage d’un flux sans précaution.
– Pour la compagnie, l’assistance, l’agrément. Cela concerne autant les animaux que les plantes. Chiens, chats et maintenant lapins et chevaux sont des animaux de compagnie proches, mais on peut aussi classer dans cette catégorie les hamsters dorés, les cobayes, poissons rouges, et tous les vivants des aquariums, des parcs et jardins en incluant les étangs. La population de chiens, y compris les chiens errants, ou chiens de rue, est estimée à plus de 400 millions, celle de chats est également évaluée 400 millions. Autrement dit, les canidés domestiqués représentent au moins 95 % du total des canidés, et de même en est-il des félins. Il n’en est pas différemment des équidés, des bovidés, ovins, caprins, porcins, camélidés, gallinacés (poules, dindes, pintades), anatidés (canards, cygnes, oies). Les plantes d’intérieurs proviennent d’espèces sauvages venues du monde entier. Et la population des plantes domestiquées, très difficile à évaluer, représente a minima 25 % de la population mondiale.
2.3 - Les étapes historiques classiques de la domestication
On peut observer plusieurs vagues successives dans la domestication des plantes et des animaux :
La première vague concerne le chien et seulement le chien, à partir du loup gris du Moyen-Orient (Savolainen et al. 2002). Elle se poursuit par des croisements avec d’autres loups ou canidés, en Europe et en Asie (Vila et al. 1999) durant des millénaires au point de rendre quasi inextricable l’arbre généalogique des populations de chiens. Les raisons sont complexes et s’enracinent sur une proximité concurrentielle : prédation des mêmes animaux, même endurance et méthodes de chasse voisines. Les loups possédaient un odorat et une ouïe bien supérieurs, des crocs, des griffes, mais les humains disposaient d’armes de jet, lances et pièges. Quand l’humanité a entamé sa grande expansion sur tous les continents (vers 60-50 000 BP), l’hypothèse la plus plausible est que le chien en faisait déjà partie. On peut discuter à l’infini sur la question de qui a domestiqué l’autre. De fait, même si c’est moins visible dans notre monde devenu hyperurbanisé, le chien a été omniprésent dans l’histoire humaine. Sa domestication est donc très profonde (Hare 2002 ; Hare et al. 2005). Moins que les humains, les loups étaient et sont toujours des animaux sociaux qui établissent, plus ou moins des relations de dominance – soumission. Généralement, la relation entre humain et chien est une relation de dominant à dominé, la dominance exigeant une attention constante pour le dominé qui cherche avant tout le bien de son maître. La transformation morphologique et physiologique du chien, par exemple sa capacité à digérer l’amidon (Axelsson et al. 2013) ainsi que le grand nombre de formes et de comportements, aujourd’hui identifiés en races, suggère une très longue domestication et une sélection variée et intense, avec des introgressions de gènes de loups par croisement volontaires, à différentes époques et en différents lieux. Jacques London a magnifié plusieurs situations : Croc blanc, L’appel de la forêt, Michaël chien de cirque.
La deuxième vague commence avec le néolithique, c’est-à-dire avec l’agriculture (11 000 à 4 000 BCE). Elle représente probablement la majorité quantitative et qualitative des domestications. Elle est responsable, en sept mille ans environ, d’une multiplication par plus de vingt de la population humaine planétaire, les ethnies cultivatrices et/ou pastorales dominant simplement par l’effet de la croissance de leurs populations. Elle est à l’origine des États et des Empires agraires, de l’émergence de l’écriture et de ce qu’il est convenu d’appeler les Civilisations. Il semblerait que le figuier ait été, dans la vallée du Jourdain, le premier vivant macroscopique de cette vague de domestication, après le chien (Kisle et al. 2016). De fait, l’archéologie a permis d’augmenter de manière considérable les connaissances concrètes des conditions de très nombreuses domestications (Zeder et al. 2016).
La troisième vague est plus diffuse et correspond à la compréhension du phénomène par les humains qui commencent à élargir la domestication à tous les produits possibles intéressants, et qui commencent à regarder tout ce qui pourrait, éventuellement être domesticable. Elle n’est pas moins opportuniste que la première, mais elle est davantage intentionnelle. Elle commence il y a six mille ans environ et se poursuit jusqu’au début du XXe siècle. Ce sont les opportunités qui jouent, par exemple l’usage du lait, de la laine, de la force de traction, de la possibilité de monte, de tous les produits dérivés. Les opportunités peuvent conduire à des élargissements : vers à soie, lapin, paon, zébu, plantes d’agrément, agrumes… Des domestications invisibles nouvelles se mettent en place suggérant qu’elles ne sont pas non plus les premières (moisissures des fromages, bactéries des laits fermentés et de yaourts). Nous montrerons plus loin qu’il s’agit bien de domestication avec un processus de spéciation.
La quatrième vague se construit dès le milieu du XXe siècle et concerne tous les êtres vivants (ou presque). Le nombre d’espèces animales et végétales entrées dans des cycles de production est en pleine croissance depuis une quarantaine d’années, mais aussi d’algues, champignons, bactéries. Cela va, dans la durée, conduire à de véritables domestications. Car c’est l’agriculture qui a conduit à la domestication et non l’inverse. La liste FAO des animaux d’élevage et des plantes cultivées, initialement sauvages, connait depuis quarante ans une croissance continue. Par ailleurs, le nombre d’espèces commensales (ou férales pour les anglophones), dont le rat, la souris, la drosophile ou le ténébrion meunier, ou encore l’ortie, le pissenlit ou la mouette, est également en croissance. Cette vague conduit, de fait, à une domestication générale de la biosphère. Ce sujet sera discuté ci-après.
Sans qu’on puisse, pour le moment, la qualifier de cinquième vague, on peut estimer que se développe depuis un demi-siècle un nouveau phénomène en pleine accélération qui fait s’intriquer technique et domestication. On peut constater différents phénomènes concomitants :
La poursuite de la domestication des animaux et des plantes conduit à des sélections de plus en plus précises, s’appuyant sur des techniques nouvelles fondées sur des connaissances physiologiques fines. Le but est l’adaptation aux nouveaux outils de l’élevage. Par exemple la forme des mamelles, la qualité du lait ou de la viande ou le comportement vis-à-vis des robots, mais aussi la résistance aux maladies, le comportement placide, la résistance aux variations climatiques…
Le développement de nouvelles techniques s’appuyant sur les découvertes des sciences biologiques et des sciences physiques qui conduisent à la possibilité de modifier « de l’intérieur » certains processus, et pas uniquement de sélectionner sur l’apparence et le comportement. Par exemple la fécondation in vitro pour les animaux, et, pour les végétaux, l’haplodiploïdisation, la polyploïdie volontaire (sachant que la tétraploïdie puis l’hexaploïdie du blé n’ont pas été obtenues en toute conscience du phénomène), la fusion de protoplastes suivie de régénération de plante, les croisements interspécifiques (triticale, colza, tritordeum), le « gene editing » ou encore le clonage ou le transfert de gènes, et maintenant la génomique qui s’appuie sur l’association de quatre approches techniques nouvelles : génétique/séquençage des génomes, phénotypage précis et enregistré en banque de données, statistique de pointe, outils informatiques puissants pour l’analyse d’énormes quantités de données.
L’expansion, dans le monde agricole, de techniques très complexes : capteurs associés ou intégrés à l’animal ou au végétal et connectés en réseaux, traitements centralisés des multiples informations collectées en temps réel, automates, robots. Les objets techniques ne sont plus seulement des médiateurs entre les humains et les êtres vivants en domestication, ils acquièrent une autonomie croissante. Ils peuvent « dialoguer » avec les animaux, lesquels finissent rapidement par les manipuler… Il émerge un processus semblable à la domestication qui concerne désormais un triptyque : humains, êtres vivants et objets techniques.
2.4 - Effets de la domestication sur l’être vivant domestiqué ou en domestication
On peut considérer qu’il n’existe presqu’aucune espèce absolument domestiquée. Ce qualificatif est toujours relatif à l’espèce d’origine, dite « sauvage », dans sa relation aux humains. Comme la domestication est un processus, il peut se poursuivre indéfiniment. On peut toujours être davantage ou autrement domestiqué. Néanmoins, au-delà d’un certain seuil, l’être vivant domestiqué ne peut plus subsister hors du monde humain ; on pourrait, dans ces conditions, l’appeler « être vivant domestique » et non plus « en domestication » ou « domestiqué ». Pour la plupart des espèces domestiquées/cultivées, on peut trouver la contrepartie sauvage, c’est-à-dire l’espèce sauvage plus ou moins proche de l’ancêtre qui fut domestiqué. Mais cette espèce peut s’être éteinte, comme l’auroch, ancêtre de la vache. Dans d’autres cas, l’espèce domestiquée s’est tellement éloignée de l’espèce d’origine que cette correspondance est délicate à reconstituer : le maïs par exemple, lié à la téosinte, le blé ou le triticale, qui sont issus de plusieurs croisements interspécifiques avec polyploïdisation chromosomique, le mouton, la poule ou l’âne dont l’ancêtre n’est toujours pas certain, comme si l’espèce domestiquée était à l’orée de l’extinction lors du processus de domestication…
Notons ici, que la définition de l’être vivant domestique comme celui qui ne peut plus vivre hors du monde humain, inclut de fait l’être humain lui-même, incapable de sortir de ce monde humain sans s’entourer de tout un arsenal de techniques qui le maintiennent en relation étroite avec le monde humain. Cette simple constatation conduit à un approfondissement ultérieur nécessaire du concept de domestication lui-même.
De fait, l’application de la prise en charge des trois fonctions nécessaires pour que la domestication ait lieu fait évoluer les populations domestiquées de manière spécifique au point de les rendre réellement différentes de l’espèce d’origine ; mais tout dépend de la nature de la pression de sélection effective et de la durée de cette sélection. Cette pression de sélection est liée aux raisons de la domestication et a pour effet d’extraire l’espèce de son milieu d’origine. Désormais son milieu est le milieu humain. Par exemple :
– Le chien qui est représenté par de nombreux groupes races dont la morphologie et le tempérament diffèrent fortement du loup d’origine : bergers, patous, molosses, terriers, teckel, chiens de chasse, d’arrêt ou de gibiers, lévriers, caniches et autres chiens de compagnie, retrievers.
– La vache dont la morphologie a évolué en fonction des besoins. Par exemple, les vaches laitières les plus performantes montrent une conformation physique nouvelle donnant l’impression d’une forme de maigreur extrême, ou d’autres comme la Jersiaise, fine élégante et affectueuse, à l’apparence de biche. Pour les races à viande, les plus imposantes dépassant une tonne, l’arrière-train plus développé éloigne fortement du profil d’origine.
– Le mouton à laine actuel, couvert d’une fourrure en croissance permanente, à partir d’une mutation dite mérinos qui a été trouvé au Moyen-Orient et introduit en Afrique du Nord par les Phéniciens. Son développement a lieu en Espagne durant le XIIe et XIIIe siècle et permis à l’Espagne de maintenir un monopole des laines fines jusqu’au début du XVIIIe siècle.
– Les arbres fruitiers dont les fruits sont souvent trois à dix fois plus gros que ceux des espèces d’origine.
– Les céréales dont les inflorescences et les graines ont aussi beaucoup grossi, peuvent avoir perdu leurs enveloppes et ne sont plus déhiscentes.
– La non-déhiscence des grains et fruits pour toutes les plantes cultivées en comparaison aux homologues sauvages.
– La croissance de l’organe consommé par les humains chez les végétaux (racine, tige, bourgeon, fleur, inflorescence, feuille), par exemple, la carotte, l’asperge, l’endive, le chou de Bruxelles, le chou-fleur, l’épinard, les salades.
On pourrait ainsi établir un diagramme du degré de domestication en comparaison à l’espèce de référence, aux raisons impliquées qui se sont avérées durant le processus de sa domestication, à l’intensité de la sélection, à sa durée, etc. On peut constater que le temps de domestication est le premier critère (le chien), mais la pression de sélection peut aussi avoir été plus intense (pigeon, lapin, etc.). Le kiwi (arbre à fruit), dont la domestication est récente (XXe siècle), a connu une évolution « fulgurante ». Cela donne une idée du destin des domestications en cours ou à venir à partir du moment où les motifs sont bien définis ( Christie et al. 2016 ; Alves et al. 2018 ; Willoughby et al. 2018) . L’expérience spectaculaire de domestication du renard d’argent sibérien, en soixante ans d’une procédure de sélection systématique, a abouti à un animal de compagnie aussi attentionné que les races de chiens les plus attendrissantes (Dugatkin 2018). Pour ce qui concerne les animaux, la domestication favorise les traits juvéniles, joueurs, ce qui peut être traduit comme un état néoténique ou néoténisé.
3 - La domestication comme phénomène global du développement humain dans la biosphère
3.1 - Malgré des règles générales, chaque domestication est spécifique
On peut analyser en détail, espèce par espèce, le processus de domestication et constater que, pour chaque espèce, il intègre les trois fonctions explicitées plus haut et une ou des raisons de la domestication précisées ci-dessus tout en maintenant des particularités. Si les fonctions du processus sont générales, elles s’expriment concrètement de manières très différentes. On ne croise pas une jument et un étalon comme on croise un pigeon et une pigeonne ou deux palmiers allogames ou deux blés autogames ; il faut tenir compte des caractéristiques biologiques et comportementales des individus de l’espèce en question en interaction avec les méthodes employées. L’évolution des raisons peut transformer et complexifier le chemin évolutif.
La domestication peut ainsi être aussi conçue comme le résultat d’une rencontre originale, laquelle déroule dans le temps une histoire spécifique avec parfois des rebondissements et des ramifications. Peut-on analyser selon le même regard et les mêmes méthodes l’histoire de la vache en Inde et en France ? Celle du cheval en Eurasie et en Amérique ? Ou encore l’histoire du murier et du ver à soie en Chine, par rapport à celle du blé et du Tenebrio molitor en France ?
Jared Diamond (2007) insiste sur le fait que le nombre d’animaux domestiqués est finalement très réduit, mais que ces animaux sont généralistes (ce qui est l’inverse pour le végétal). Tout reposerait sur quelques événements rares. C’est vrai que le nombre des espèces animales qui pèsent quantitativement est réduit (moins de vingt), de même que le nombre de plantes qui assurent la base de l’alimentation humaine (aujourd’hui guère plus d’une vingtaine, même si plus de 150 ont une valeur économique réelle plus ou moins locale). Néanmoins quelques domestications semblent mineures sur le plan alimentaire, mais ont pesé en géopolitique et économie, comme le cheval, le vers à soie et son murier, le pigeon, voire le piment, le café, le thé, le cacaoyer, l’encens, et aujourd’hui l’hévéa, le palmier à huile, la canne à sucre.
De plus le nombre d’espèces, tant animales que végétales, en cours de domestication est considérable, pour des raisons très variées. L’arnica dont la teinture a un effet immédiat sur les chocs et « bleus » qui s’ensuivent, malgré le désintérêt de la médecine, est en cours de domestication nécessaire, à cause des volumes désormais demandés, et cela est vrai d’un très grand nombre de plantes dites médicinales ou à l’origine « d’huiles essentielles ». Le tigre et le lion sont, sans doute, au début d’un long processus de domestication, car leurs populations en parcs zoologiques dépassent déjà leurs populations sauvages. Cela sera à terme le destin de tous les mammifères et oiseaux de tailles suffisantes, sauf extinction.
On peut suivre les débats sur la domestication, dans le contexte français et depuis quarante ans, selon les points de vue d’Haudricourt (1962), de Sigaut (1988), de Digard (1990, 2010), ou de Vigne (Vigne et al. 2006, 2012 ; Stépanoff & Vigne 2019). On peut rapidement répartir leurs analyses en deux groupes. Le premier (Haudricourt et Sigaut) estime que les êtres vivants dits domestiqués sont trop divers dans leur statut vis-à-vis des populations humaines pour qu’un tel concept ait un sens. Le deuxième, à la suite de Digard, pose que la domestication décrit un processus et non un état. Mais toujours la domestication se transforme en réflexion sur les domestiqués. N’y aurait-il pas là une erreur de perspective ? Savoir si le ver à soie est plus domestiqué que le chat ou le cheval, et comment cela s’est passé, est-ce vraiment un sujet d’importance ? Observer qu’environ 25 % des surfaces continentales sont sous l’emprise humaine et que le poids relatif des animaux sauvages équivalents aux domestiqués est devenu quasi négligeable (3 contre 97), cela n’a-t-il pas un autre impact ?
N’est-on pas en train de faire l’erreur souvent pointée par Nietzsche, à savoir de confondre les causes et raisons d’un phénomène et son effet dans la durée ? Il est difficile de départager si la domestication est une alliance des humains avec d’autres êtres vivants ou si c’est une domination, et si cela n’était pas différent, espèce par espèce. Il reste que dans la durée, on voit bien que la chance de survie des espèces vivantes dans l’avenir dépend de la nature de leur relation avec les humains. Les lions, tigres et ours, par exemple, n’ont guère d’avenir dans les espaces densément peuplés d’humains hors des zoos, à moins de perdre du poids et de l’agressivité. Le sort des loups semble relever de modes et de rapports de force politiques davantage que de réflexion écologique. En revanche, les collemboles, carabes et lombricidés ont un avenir indéniable, sur d’immenses surfaces, si les humains concluent qu’ils sont utiles à la production agricole de même que les rapaces si l’agriculture de conservation des sols se développe (Coppinger & Smith 1983).
3.2 - Élargissement du concept de domestication
Posons comme première hypothèse que la domestication est le processus par lequel des êtres vivants s’intègrent dans l’espace humain, lequel est, de fait, et depuis le commencement, un espace sociotechnique (Dubois 2020a, 2020b). On peut immédiatement en conclure que le premier vivant à avoir été domestiqué est l’espèce humaine puisque, même si elle est à l’origine de la technicité, le seul fait d’être un vivant, c’est-à-dire se succédant par générations, oblige chaque génération à s’intégrer dans l’espace sociotechnique constitué par les générations précédentes. Depuis des millions d’années, les hominidés ont évolué dans des espaces technicisés, de plus en plus technicisés. On peut, en suivant en cela Lévi-Strauss (1948), qualifier ce processus d’autodomestication, mais avec prudence, en considérant que cette autonomie est bien relative (Bednarik 2020 ; Germonpré et al. 2018 ; Hare et al. 2012). De fait, il s’est agi d’une longue coévolution hominidés-technique, puis homininés-technique et finalement humain-technique, pour terminer, avant le néolithique par une triple coévolution technique-humain-chien (Morgan et al. 2015 ; Schleidt & Shalter 2003). De fait, l’autodomestication n’est pas seulement une baisse de l’agressivité, même si cet aspect est important. Ce qui est remarquable, c’est que cette sélection est franchement antidarwinienne, les plus forts, les plus agressifs, étant souvent délibérément éliminés. L’autodomestication a une différence essentielle par rapport à la domestication : ce sont les humains qui créent et développent des techniques nouvelles, même s’ils en subissent, génération après génération avec leurs compagnons domestiqués, les conséquences dans la durée. Ce sont eux qui sélectionnent, au temps présent les nouvelles techniques, celles dont leurs descendants peuvent, dans la durée, subir l’asservissement. Ce sont eux qui glorifient les inventeurs de nouvelles techniques vécues, lors de leur invention, comme libératrices…
De là, on peut supposer que l’entrée d’autres êtres vivants dans ce monde sociotechnique sera le résultat des interactions ci-dessus décrites. Cette approche suggère que la domestication progressive d’autres espèces est inéluctable et qu’elle n’attend que les occasions de rencontre la rendant nécessaire.
Les effets du processus de domestication dans la durée, autrement dit selon des temps différents (Braudel, 1949), conduisent aussi à l’évolution et la prolifération d’objets techniques. L’espace humain s’agrandit ainsi, permettant l’accroissement des populations, au point de devenir un espace spécifique non négligeable dans « la biosphère ». Notons qu’aujourd’hui, les débats scientifiques et politiques conduisent à discuter quelle partie de la surface terrestre devrait rester « sauvage », 20%, 25%, 30% ? Dans une approche de protection, il s’agit de savoir ce qu’il est possible d’encore protéger face à l’extension humaine générale. Personne ne demande plus de 30%, à moins de limiter les populations humaines en accord avec les approches de la « Deep Ecology » (Wuerthner 2014). Car sinon cet espace, même morcelé, n’existerait pas. Et ce d’autant que l’espace humain est toujours un espace hypertechnicisé, dont les humains sembleraient bien être les premiers animaux domestiqués (Sloterdijk 2000a, 2000b, 2009). Rendre des espaces humanisés au monde sauvage devient hors de portée, sauf à petite échelle et en admettant que le taux de CO2 dans l’atmosphère variera peu, ou en cas de catastrophe réelle avec un effondrement des populations humaines., ce qui libèrerait de la place pour les autres vivants.
Sans technique, comment les humains auraient-ils obtenu de hauts niveaux de production biologique par unité de surface ? Et finalement pourquoi et comment s’est construite cette proximité avec les animaux et les plantes au point de les faire entrer dans notre espace technicisé alors que nous étions, comme chasseurs-cueilleurs, inclus dans l’espace « naturel », c’est-à-dire biosphérique ? Aujourd’hui nous entourons la biosphère de nos outils de mesure, des milliers de satellites la quadrillent, et bientôt des dizaines de milliers. Les mers sont balisées, les animaux marins suivis, les animaux terrestres dangereux circonscrits, et plutôt que de transformer toute la surface terrestre en lieu de production technique, il semble que la recherche d’une « alliance », dans le cadre d’un procès orchestré, soit au goût du jour.
3.3 - L’autodomestication en profondeur
Une erreur serait de croire qu’il n’existe de techniques qu’outillées. Par exemple, François Jullien, et avec lui de nombreux philosophes, concède volontiers que les concepts sont des outils. Jack Goody (1979) présente la raison graphique, ou encore, plus précisément, l’écriture comme un ensemble de techniques qui ont eu pour effet de domestiquer la pensée sauvage… Freud lui-même, Winnicott avec lui et la plupart des psychanalystes reconnaissent que la psychanalyse utilise des concepts, donc des outils, mais aussi des méthodes, des procédures, etc. Entre les techniques mentales, qui comprennent les langues ou tout usage de concepts et toute construction théorique, et les techniques outillées, il y a les techniques corporelles que Mauss (1936) considère premières : « Le corps est le premier et le plus naturel instrument de l’homme. Ou plus exactement, sans parler d’instrument, le premier et le plus naturel objet technique, et en même temps moyen technique, de l’homme, c’est son corps. »
En accord avec l’analyse de Mauss, on peut considérer que les techniques outillées permettent la domestication des corps, mais, dans le cas des hominidés utilisateurs de techniques, cette domestication devient circulaire et le corps utilisateur de techniques outillées se technicise, jusque dans ses montages sensori-moteurs, pour accroître sa maitrise des outils. La technique s’intériorise. Cette logique se poursuivra avec l’émergence progressive de la parole, cette technique si complexe dont la pratique a conduit à la domestication du cerveau, à sa transformation par l’usage d’une parole qui exige un cerveau capable de l’utiliser… On le sait, depuis l’émergence d’Homo sapiens, l’apprentissage d’une langue permet le développement du cerveau de l’enfant ; ce même cerveau continue d’évoluer avec l’apprentissage de l’écriture… La technique outillée fait évoluer le corps, la technicisation du corps fait évoluer le cerveau et les moyens de communication, la parole fait évoluer le cerveau. L’autodomestication, nous le verrons plus loin, est à la fois la clef de l’évolution qui a mené à l’humain et une forme d’apprentissage premier de la domestication (Dubois 2020b). Bien sûr tout n’est pas que technique, tout n’est pas que domestication, mais, dans le contexte humain tout s’appuie, s’étaye, sur des conditions techniques, et ce depuis les commencements les plus anciens.
On peut donc conclure que si pour les bonobos, l’autodomestication serait issue de la prise du pouvoir par les femelles qui contraignent les mâles et les « domestiquent » (Hare et al. 2012), dans le cas des humains cette autodomestication est venue des outils dont l’usage donnait la possibilité de domination. Le pouvoir résidait dans la maitrise d’outils et non uniquement dans la force. L’environnement humain, dès les commencements, est sociotechnique (Dubois, 2020b), et il contraint les individus de chaque génération selon un processus darwinien qui parait « antidarwinien ». Tant qu’on n’intègre pas les outils et leurs usages dans le monde humain, on ne peut pas comprendre l’évolution humaine, la société humaine et même ce psychisme humain si spécifique qu’il en arrive à pouvoir se dire. Il s’agit ici d’un prolongement et d’un accord des thèses de Leroi-Gourhan qui a été le grand précurseur sur ce sujet, mais dont une analyse approfondie n’est pas possible ici. Notons qu’elle a conduit à croire que la logique darwinienne ne fonctionne plu et qu’il fallait trouver autre chose.
Ce monde sociotechnique a pour conséquence que les groupes deviennent de plus en plus importants, la pression contre l’agressivité s’accroît, laquelle se concentre vers l’extérieur du groupe. Paix en dedans, guerre en dehors. L’une des conséquences, c’est qu’il est inutile de savoir qui du social ou du technique domine l’autre, aucun ne peut analyser l’autre de surplomb ou de l’extérieur. C’est tout simplement vide de sens. Il n’y a pas de socialisation humaine sans technique ni de technique sans usage social. Technicité et socialité sont les deux faces de la réalité du monde humain, et aucune ne peut être comprise indépendamment (Guille-Escuret 2003). C’est à partir de là qu’il sera possible un jour de construire le continuum vivant-technique-société/psychisme humain. Les sciences humaines ne pourront en sortir que grandies (Guille-Escuret 1987).
3.4 - À la recherche de la première domestication non humaine par les humains
Pouvons-nous aller au-delà de ce concept de domestication quasi universel en l’analysant en profondeur, c’est-à-dire au cœur du processus ? En effet, la domestication est-elle une technique ? Pour cela nous devons à la fois approfondir le processus et remonter dans le temps. Le milieu humain est issu d’une longue construction. Avant le chien il semblerait n’y avoir eu aucun être vivant, autre qu’humain, domestiqué, c’est-à-dire accueilli dans le milieu sociotechnique humain (Stépanoff & Vigne 2019). Nous allons voir ci-après, que contrairement au point de vue d’Haudricourt et Sigaut, si nous allons jusqu’au bout de l’analyse, il n’y a aucune raison non seulement de distinguer un microorganisme d’un chien mais aussi des éléments physiques des éléments vivants.
Cette posture parait étriquée et ne permet pas de comprendre ce qu’est la domestication. Nous avons plusieurs indices qui nous conduisent à décrire plusieurs domestications. Le premier c’est la domestication du pou, effective avant que celle du chien le fût. En effet, les biologistes du pou ont calculé que la divergence du pou de la tête de celui du corps date d’il y a 107 000 ans. Autrement dit, la divergence peut être estimée comme une conséquence du port stable des vêtements, c’est-à-dire la construction d’une enveloppe technique protectrice (Kittler et al. 2003) dans laquelle s’est immiscé le pou. Nos ancêtres ont provoqué l’émergence d’une nouvelle espèce capable de proliférer dans le milieu chaud et protégé entre la peau et les vêtements. Une véritable domestication, non voulue, comme toutes les domestications anciennes, mais plus ancienne que celle du chien : l’accueil dans notre espace technicisé d’êtres vivants qui s’y adaptent dans la durée et restent toujours auprès de nous, par intérêt, puis par nécessité. On pourrait prétendre qu’il s’agit de l’adaptation d’une espèce parasite coévoluant avec l’être humain dans son milieu. Certes aujourd’hui nous souhaiterions nous en débarrasser. Ce qui entrainerait la disparition de l’espèce. Mais il s’agit bien du sort d’un bon nombre de nos animaux domestiques, ils dépendent de notre bon vouloir, mais s’ils nous ont choisis, ils s’accrochent (cf le chien ou le chat). Car la domestication est rarement unidimensionnelle, la domestication en tant que telle n’est quasi jamais intentionnelle. Vouloir domestiquer est récent, même si certains cas se révèlent durant l’antiquité ; les premières intentions dans la relation à l’animal, la plante ou l’élément domestiqué, ne relèvent pas d’un but de domestication mais de répondre à une interaction, de trouver une relation. La conséquence, rarement anticipée, devient la nature de notre relation avec l’être vivant. Il serait plus judicieux de reconnaître que parmi les êtres vivants que nous avons domestiqués, pour un bon nombre ce fut à notre insu et moins de désagréments réels que d’avantages sont apparus ; mais cela a changé nos conditions d’existence.
Nous pouvons remonter encore plus dans le temps. Notre microbiote, acclimaté à notre intestin, est lui-même une population qui a dû s’adapter à notre alimentation cuite et cela probablement plus d’un million d’années avant le pou (Danchin 2020 ; Dubois 2020b), avec des conséquences imprévisibles, entre autres sur notre longévité, accrue. Et qu’en est-il des bactéries et des levures utilisées pour fermenter les aliments avant que nos ancêtres ne sussent cuire les aliments ? D’autant que la fermentation fait vivre des expériences recherchées depuis l’origine du monde… N’aurions-nous pas domestiqué sans le savoir les premières bactéries ou levures provoquant des fermentations ?
Il va de soi que la divergence des poux ne peut être pensée séparément de celle de la perte de la fourrure, de la même manière que parler de la domestication du microbiote ne peut être séparé de la transformation du système digestif dans le passage progressif des australopithèques aux hominines. S’il y a eu domestication des poux et du microbiote, c’est qu’il y eut aussi transformation réciproque des hominines correspondants. ll s’agit encore ici d’une co-domestication.
La domestication des bactéries, des moisissures et des levures, permettant des transformations des goûts et textures des aliments, a probablement commencé avant même celle des bactéries du symbionte. En effet, on sait désormais que des changements alimentaires permettant une régression du système maxillaire, dentaire et du système digestif ont eu lieu avant Homo erectus, puisqu’il émerge en ayant déjà ces caractéristiques (Organ et al. 2011). Si le feu semble avoir été domestiqué à cette même époque, il reste que l’alimentation de ses prédécesseurs pouvait être aussi améliorée, dans le sens de la digestibilité, sans être toujours cuite. Elle pouvait être fermentée, tout simplement parce qu’elle était découpée, lavée et conservée dans des récipients divers – on sait qu’un trou dans la terre ou un estomac d’animal peut suffire – le temps de la consommer collectivement. Si l’usage d’aliment fermenté était déjà courant dans la lignée des australopithèques qui mène à Homo erectus, cela signifie que la domestication de microorganismes divers a été précoce et peut-être antérieure à celle du feu. C’est ce qui a déjà été suggéré indirectement (Ragir 2000), en reconnaissant que l’alimentation des australopithèques tardifs devait être beaucoup plus élaborée que supposée.
Il est donc manifeste que la domestication de microorganismes et celle du feu sont très anciennes, et probablement datent d’avant l’émergence d’Homo erectus, car si c’était après, c’est la physiologie et l’anatomie d’Homo erectus qui ne sont plus compréhensibles selon une approche évolutionnaire…
3.5 - La domestication des éléments naturels non vivants
Il faut ici insister sur la problématique de la domestication du feu. Le feu lui-même ne peut être une technique. Construire un feu en est une ; mieux, c’est un dispositif technique (London, 1908). De fait, le feu est considéré, dans de nombreuses cultures, comme un élément primordial, à l’instar de l’eau, du vent, de la terre. Ainsi réaliser un four, une canalisation, un moulin, un champ cultivé, peuvent être assimilés à des techniques faisant entrer dans le monde humain les éléments primordiaux, en tout cas considérés tels par l’humanité depuis aussi longtemps que de telles informations sont accessibles. Parmi ces quatre éléments, le feu semble avoir été le premier à être « invité » à s’installer au milieu des humains. Sauf si on découvrait que la fermentation en récipients, quelle qu’en soit la nature, avait été inventée avant. Dans ce cas, ce serait l’eau. Nous avons un argument fort concernant la précocité de la domestication du feu. De manière générale, les grands singes préfèrent la nourriture cuite à la nourriture crue (Wobber et al. 2008) même si dans la nature ils mangent systématiquement cru, car ils ne maîtrisent pas le feu, même s’ils n’en ont pas peur. Donc le feu a été domestiqué – acceptons momentanément le même terme, donc le même concept – en même temps que la cuisine se mettait en place ou mieux le goût accidentel de viande cuite (incendie) peut avoir provoqué l’invention de la cuisine en s’ajoutant aux fermentations préexistantes. Et manger cuit sélectionne la mutation limitant les muscles maxillaires, tout en apportant les nutriments pour un cerveau accru. En bref, si la domestication de l’eau, par la mise en récipient, pouvait avoir été antérieure à celle du feu, celle du feu semble avoir eu des conséquences plus lourdes, tout au moins au début, mais de toute façon dans la continuité. De fait, séparer le feu et la fermentation est peut-être erroné.
Du petit feu de bois nomade, effacé à chaque déplacement, aux fours ventilés mésopotamiens puis grecs, jusqu’aux haut-fourneaux modernes, que d’étapes dans la domestication du feu… Par ce lent travail d’amélioration sur la longue durée, non seulement le feu a été invité dans les dispositifs techniques originels, mais il a évolué avec ces dispositifs, jusqu’à ressembler aux forges mythiques de vulcain et aux coulées de lave. Car les éléments ne s’apprivoisent, ni ne se dressent, ni n’évoluent ; ils se comportent en fonction du dispositif. L’eau a peut-être été domestiquée avant le feu, mais sans certitude. En tout cas la cuisson dans l’eau combine les deux. Le vent a été domestiqué plus tardivement ; moulins à vent et bateaux à voile sont des formes de domestications de l’élément vent et sont plus précoces qu’on ne le suppose (Bednarik 2003). Quant à l’eau, il est possible que les débuts de sa domestication aient été très anciens : conservation de l’eau dans des outres faites de boyaux, détournement de ruisseaux pour la pêche, irrigation, la liste est longue. Quant à l’agriculture, parallèlement à la domestication des animaux et des plantes, elle est le prélude à la domestication des sols. À ce moment, les quatre éléments primordiaux des pensées antiques étaient entrés dans un processus de domestication : le feu, l’air, l’eau, la terre.
3.6 - La domestication des microorganismes
La domestication des plantes et des animaux serait alors une domestication secondaire, conséquente, qui relève aussi de la mise au service des collectivités humaine de la capacité végétale à concentrer l’énergie solaire (alimentation, feu) et celle de l’animal à concentrer les protéines.
Les innovations techniques concernant les sources alimentaires des hominidés verticalisés juste avant Homo erectus relèvent de trois grands champs : l’usage des tubercules, rhizomes, racines et bulbes souvent riches en facteurs antinutritionnels, voire en toxines, destructibles par broyage et fermentation puis par cuisson ; la découpe et le traitement des pièces animales après une chasse ; l’usage du feu autant pour cuire que pour fumer ou sécher. Ces techniques sont elles-mêmes collectivement développées et exigent des médiations pour un partage social des produits (Ragir 2000).
Il est peu probable qu’une domestication stable des microorganismes ait été obtenue avant l’émergence d’Homo erectus. Sauf si des moyens de conservation existaient déjà : outres, sacs, récipients divers en matériaux organiques comme les viscères, les peaux, les lianes, les feuilles ou le bois. Mais il est bien connu depuis au moins 50 ans que le process et les « matériaux » sur lesquels agit le process sélectionnent les espèces capables de croître dans le milieu ainsi constitué (Betts et al. 1999). On peut décrire les microorganismes sélectionnés à partir des types de produits agricoles utilisés pour réaliser un milieu (Koburger & Farhat 1975). Tout meunier désireux de fabriquer des levains sait généralement – cela s’est perdu partiellement durant le XXe siècle – que la sélection des souches est une conséquence ; les extraits permettant de constituer le milieu, l’oxygénation, le taux de sels et de sucres, la nature des contenants et leur forme, la température sont autant de variables de sélection. De fait le nombre d’espèces de levures, moisissures ou bactéries désormais domestiquées, c’est-à-dire complètement adaptées aux nombreux milieux stabilisés des activités alimentaires, est bien supérieur au nombre d’espèces animales ou végétales domestiquées (Gallone et al. 2018 ; Steensels et al. 2019).
Quelques microorganismes sont devenus « célèbres », comme la levure de bière (ou de pain) nommée Saccharomyses cerevisiae, ou des Penicillium, comme Penicilium roqueforti ou Penicillium camenberti (Ropars et al. 2017, 2020) et bien sûr les bactéries lactiques à l’origine des yaourts, les nombreux Lactobacilles et les Bifidus (Bull et al. 2014). La stabilisation de la levure de bière remonte au moins aux Sumériens et Égyptiens. Dans leur écriture, ces derniers auraient utilisé le même terme pour bière et pain en changeant le qualificatif (liquide ou solide). Quant aux sauces soja au moins aussi anciennes que l’usage du soja dans l’alimentation en Asie de l’Est et du Sud, elles sont nombreuses et pour chaque type, pour chaque arôme, ce sont des associations de microorganismes différents (O’toole 2019). On vient de découvrir que les levures se différencient selon l’usage en boulangerie artisanale ou en boulangerie industrielle. Les espèces et races de microorganismes domestiqués se différencient très vite (Bigey et al. 2020). Marie-Claire Frédéric (2014) montre qu’il est fort possible que la fermentation soit ce qui a conduit à la culture des principales plantes, à l’origine, et non l’inverse. Pour les plantes, cette thèse résoud un vrai problème : quel était l’intérêt de cultiver la plante de référence sauvage ? C’est bien après des siècles de sélection qu’elle devient intéressante pour l’usage actuel… par contre si la plante était consommée entière et fermentée, cela peut tout changer. L’usage du produit fermenté, qui peut se conserver, conduit à obtenir la plante en quantité et ainsi engage un processus de culture et de domestication.
On peut conclure de ce rapide panorama que la consommation de produits d’origine végétale ou animale, fermentés « volontairement » ou systématiquement, est certainement très ancienne, bien plus ancienne que l’usage du feu, c’est-à-dire communément pratiquée par les australopithèques. Une autre considération peut légitimer ce comportement précoce : la sensibilité très fine des primates pour détecter à partir du degré d’alcool, d’aldéhyde ou d’esters aliphatiques la maturation des fruits (Dominy 2004). La présence de tels composés dans les autres produits végétaux broyés devient un indicateur qualitatif des techniques employées. Qu’ils s’agissent du cuit ou du fermenté, les grands singes en avaient le goût, il suffisait qu’ils acquièrent la posture technique pour que cuisson et fermentation deviennent une étape évidente de leur évolution. Ce qui a été réalisé par l’évolution humaine.
4 - De l’essence de la technique à l’essence de la domestication
4.1 - Redéfinir technique et domestication
Les toutes premières domestications, à condition qu’on parle bien du même concept, dateraient donc d’au moins deux millions d’années. Elles ressembleraient d’ailleurs à celle du feu, c’est-à-dire à des cadrages de processus autour de phénomènes perçus vivants ou sources du vivant et insaisissables, ou encore en la mise en place de dispositifs techniques : pièges pour petits animaux, pour poissons, piège conservant le feu, encerclement d’animaux avec jeté de pierres, ou enfermement, lutte contre des animaux à l’aide de bâtons ou de pierres, découpe de viande ou de branchages, récupération de petits nourris jusqu’à l’âge adulte. Dans une mentalité préscientifique, mais déjà technicisée, tout ce qui ressemble à du vivant a le potentiel d’être apprivoisé, dressé, et finalement domestiqué. Le feu est vivant, il est la puissance, celle qui ressemble au soleil ; il dévore d’ailleurs presque tout ce qui relève du monde vivant ou organique. Il est le premier dont on a pu croire l’apprivoisement possible, le premier que l’utilisateur a dû prier de bien vouloir être calme et apaisé par les rites qu’il lui offre, les aliments qu’il souhaite, ce dont il a besoin pour se maintenir, pour l’inviter dans le groupe et l’aider à donner à la nourriture goût et enrichissement nutritionnel. Une pâte ou une boisson fermentée est aussi comme un être vivant qui délivre son feu intérieur et qui, si les bons rites sont appliqués, devra faire connaitre, à celui qui y goûte, l’univers et les dieux.
Telle qu’analysée ici, la domestication est une conséquence de la réaction de la nature à la mise en place de la technique. C’est le processus d’évolution de la nature – des éléments naturels, inanimés ou vivants – comme réponse au dispositif technique mis en place par les humains. En revanche, cette technique a commencé bien avant le genre humain, elle est intrinsèque à l’émergence de l’humain, elle institue la possibilité de devenir humain. C’est elle qui fait venir le feu du ciel et le feu intérieur, c’est elle qui, appliquée selon le bon rituel, lequel est découvert pas à pas, fait entrer dans le domus, dans la maison des humains, des forces assagies et complaisantes à condition d’y veiller sans cesse. Pour paraphraser Heiddeger, quelle serait l’essence de la technique, puisqu’elle n’est pas technique ? L’essence de la technique depuis l’origine se voit dans sa longue durée, ce n’est pas uniquement d’arraisonner, d’encadrer, de contraindre, de dévoiler la nature, c’est aussi peu à peu, en tenant compte de la nature de ce qui est ainsi contraint, de le faire exister dans le cadre technique humain et donc d’évoluer. Le feu d’un haut-fourneau, d’une usine de production de verre ou d’une centrale nucléaire a bien évolué par rapport à celui qui brûle dans la cheminée de ma maison de campagne… L’essence de la technique est dans l’alliance et la contrainte, l’accueil et l’enfermement, des forces physiques et vivantes, qui, dans ce cadre, co-évoluent avec les dispositifs techniques mis en œuvre. L’essence de la technique se dévoile finalement dans les êtres domestiqués, qu’ils soient vivants ou énergies/forces physiques.
La domestication peut ainsi être conçue comme une conséquence du comportement des êtres vivants ou des flux énergétiques primordiaux assimilables au vivant qui sont accueillis, ou intégrés, insérés, arraisonnés dans le cadre technique développé par les groupes d’hominidés verticalisés. La domestication n’est pas une technique, c’est une réponse des flux d’énergie physique ou assimilés par le vivant, lorsqu’ils sont insérés dans un dispositif technique dont le but est justement de les apprivoiser, cet apprivoisement ayant pour effet, dans la longue durée, et uniquement chez les êtres vivants, cette transformation que nous nommons domestication. Que serait l’essence de la domestication ? C’est l’acquiescement de la nature à l’action technique humaine. La domestication est ce qui est béni des Dieux et lorsqu’un accident se produit, c’est un indicateur que la domestication n’est pas complète : un chien tue un humain, un taureau en colère écorne un autre, un vaccin crée des maladies, une production agricole s’écroule sous l’attaque d’un parasite, un immeuble s’effondre tout seul ou sous l’effet d’un séisme, un incendie dévaste des maisons et des parcs, un barrage se rompt, un réacteur nucléaire fond… Durant les temps anciens, on aurait dit que les dieux sont mécontents, et on appellerait les oracles ou les chamanes pour identifier la faute et tenter de la réparer. En ces temps modernes, on comprend que la domestication n’est pas encore complète (mais le sera-telle jamais ?) ou mal située, comme par exemple mettre une centrale nucléaire sous le risque d’un séisme ou d’un tsunami, confier un chien puissant à un propriétaire inexpérimenté, ou laisser un enfant démarrer tout seul un feu de cheminée. Cela entraine des lois, des manuels qualité, des procédures, des recherches, des innovations, des recherches de responsabilité.
Il est impossible de séparer, tout au moins à l’origine, le fait technique du rituel dans lequel il s’insère. Et même après une longue pratique, l’aspect rituel d’une pratique technique complexe est toujours frappant. De plus on sait que les petits humains, contrairement aux chimpanzés (par exemple), n’apprennent pas une technique en fonction de sa finalité, mais répètent tous les gestes et mouvements, même s’ils paraissent inutiles (Nagell et al. 1993 ; Andrew Whiten et al. 1996A ; Whiten et al. 2009 ;). Cela suggère comment s’est construite la magie, avec et par la technique et la façon de la transmettre, et finalement les techniques et même la science. Il existe des gestes nécessaires dont on ne comprend pas le mécanisme, mais qui marchent… C’est en répétant, « inintelligemment », contrairement aux autres singes supérieurs qui cherchent aussitôt l’astuce simplificatrice, que les humains ont développé une intelligence beaucoup plus avancée ! Ceci reste une source de réflexion pour tout enseignant, tout pédagogue, tout parent, qui souhaite développer l’intelligence des enfants dont ils s’occupent…
4.2 - L’origine de la domestication dans l’autodomestication du commencement
Affirmer que les premières domestications ont eu lieu il y a plus de deux millions d’années mène à une autre question. On sait que les techniques outillées des australopithèques datent d’au moins 3,3 millions d’années ( Harmand et al. 2015 ; Domalain et al. 2017 ; Lombard et al. 2018). Quelle domestication cela a-t-il entrainée ? Selon la conception développée ci-dessus de la domestication, il est logique et cohérent que l’usage continu de techniques améliorables ait eu pour conséquence des évolutions biologiques ; or, c’est connu, la verticalisation des australopithèques s’est améliorée sur la lignée qui mène jusqu’à Homo erectus ainsi que la maitrise des armes de jet (Dubois 2020b). Il s’agit bien ici d’une autodomestication. Or, si l’autodomestication commence à être un concept utilisé pour le bonobo (Hare et al. 2012), qui pourtant use de très peu de techniques dans la nature, son usage pour comprendre l’évolution vers l’humain reste très limitée et incomplète (Sánchez‐Villagra & van Schaik 2019), même si le bonobo semble plus proche de l’humain que le chimpanzé (Wobber et al. 2010).
En effet, cette hypothèse ne prend pas en compte la technique, mais seulement la baisse de l’agressivité, autrement dit une des conséquences pour certaines espèces, et dans certaines conditions, de la domestication animale. Et nous venons de voir que la domestication se conçoit dans un cadre technique. Si les animaux domestiques sont généralement moins agressifs, c’est parce qu’une méthode de sélection adéquate est mise en place dans un cadre technique pour éliminer les agressifs. Par exemple, on sait que les chiens de traineau comme le Husky sibérien sont sélectionnés pour leur docilité et leur manque d’agressivité, nécessaires aux attelages collectifs. Néanmoins les molosses n’ont généralement pas été sélectionnés dans ce cadre.
L’autodomestication humaine commence dès qu’émerge « une grappe technique » par la libération des mains, c’est-à-dire quand se met en place la verticalité comme comportement appris. Un récit complet a été proposé (Dubois 2020). Nous avons désormais des exemples d’effets très récents comme la digestion du lait ou du blé, ou la résistance génétique au Plasmodium falciparum, cause de la malaria (ou paludisme), qui prouvent que cette (auto)domestication se poursuit sur les temps récents (moins de 5000 ans).
4.3 - La domestication : un concept de processus sur le temps long à haute valeur heuristique
Cette analyse de la domestication comme processus concernant des êtres vivants ou des éléments primordiaux, ou même des objets techniques déjà très évolués, dans le cadre d’une forme d’emprise territoriale technique, a l’intérêt d’embrasser dans une même logique ce qui paraissait trop disparate pour être abordé selon le même ensemble conceptuel (Sigaut 1988). Oui, on peut parler de domestiquer des microorganismes, des plantes et arbres divers, des animaux pesant un dixième de gramme à ceux dépassant la tonne, mais aussi des espaces globaux comme des champs, des vallées, des plaines, des êtres humains parqués dans des cités immenses, le vent, les rivières et les fleuves, le feu, voire des machines de plus en plus autonomes et adaptables.
Notons que les critiques de Sigaut concernant l’immense variétés des statuts sociaux ou juridiques des êtres dits domestiqués restent valables dans le sens où le processus domesticatoire peut être très différent selon le dispositif technique et l’objet à domestiquer qu’il enserre. Les deux sont aussi importants. Le point de focalisation ici est sur la domestication comme processus et non l’éventuelle classification des êtres domestiqués. De même en est-il pour sélectionner un chien de compagnie et un chien de combat, les dispositifs techniques de sélection sont diamétralement opposés, et on commence à partir de populations différentes. Les conséquences de la domestication peuvent donc être très différentes. La domestication du feu a conduit aux poêles domestiques mais aussi aux hauts-fourneaux des industries sidérurgiques ou aux fourneaux des industries du verre, ce qui signifie une domestication de la roche qui peut être fondue, et jusqu’au réacteur nucléaire, après que la science y fût impliquée. Celle du vent peut mener à des éoliennes dont la pointe des pales atteint la vitesse du son. Celle du sol agricole conduit à l’agriculture de conservation des sols qui demande de nouveaux outils, peut-être en moindre nombre, peut-être plus petits, mais à des échelles spécifiques. Celle de l’eau qui a fait tourner tant de roues à godets, de moulins, de turbines et a permis des multitudes de canaux, des barrages, des systèmes d’irrigation sur des millions d’hectares, elle aussi s’évalue et évolue, à des échelles spécifiques.
La domestication ne se conçoit pas en dehors d’une échelle d’emprise. Quand on domestique un chien, on ne domestique pas ses cellules, quand on domestique une levure on peut modifier une part de son métabolisme, mais elle reste une levure. Domestiquer un sol peut être conçu à des échelles très différentes, de même que la domestication d’un paysage (Kareiva et al. 2007). Déconstruire le domestique en trois plans (juridique, éthologique, économique), comme le suggère Sigaut a davantage un intérêt pratique que conceptuel. En effet, cette domestication conduit toujours à des appropriations de natures très différentes selon ce qui est domestiqué. Le barrage sur la rivière crée un nouvel espace qui n’est pas nécessairement totalement privé, mais l’électricité l’est et conduit à la vente, etc. L’éthologie ne concerne que les animaux. L’économique est généralement présent partout, mais selon des modalités spécifiques à chaque cas, car même l’animal de compagnie, celui qui serait le moins commercial, se vend et s’achète, et son alimentation fait l’objet d’un marché considérable, tandis que la propriété de l’air, de l’eau ou du sol peut être un bien commun ou un bien individualisé.
Leroi-Gourhan (1949) accorde à la domestication un rôle civilisateur, car il part uniquement de l’agriculture et ne considère que les plantes et les animaux. Le Néolithique est bien au fondement de toutes les civilisations avec leurs cortèges de réussites et de difficultés, mais la technique et ses conséquences domesticatrices sont bien antérieures, et sans elles l’agriculture n’aurait pu être réalisée. Finalement, l’agriculture parait être une étape, importante certes par ses conséquences, mais pas si importante, ni conceptuellement, ni dans les faits quotidiens qui y ont menés. Toujours garder en tête cette différence essentielle : les conditions contingentes qui ont permis l’invention, d’un côté, et les conséquences de l’invention et de sa généralisation dans la durée, d’autre part.
Le processus de domestication dépasse donc largement la simple domestication des plantes et des animaux. Si la domestication des éléments considérés, historiquement, comme fondamentaux (le feu, le vent, l’eau, la terre) a commencé le plus souvent avant celle des animaux, elle continue à se poursuivre, et bientôt toute la table des éléments de Mendeleïev sera mobilisée ; tout métal, incluant les lanthanides et les actinides, tout gaz aura son usage, jusqu’à l’argon ou l’hélium, etc. De plus, la domestication s’élargit à des entités du milieu sociotechnique humain par exemple les médias et les objets de la technologie (Berker et al. 2006), jusqu’à la technologie elle-même (Lie et al. 1996). Nous allons avoir besoin de dispositifs techniques pour domestiquer des systèmes constitués d’humains et d’objets techniques intriqués redevenus sauvages à une échelle imprévue... De plus l’émergence des robots va commencer à créer une frontière floue puisque plus les robots seront souples et adaptables au contexte, au milieu, à l’environnement, et plus ils vont devenir peu à peu domesticables (Cazenille et al. 2018 ; Tisserond 2015 ; Halloy et al. 2007 ; Lagneaux 2018), ce qui suggère qu’ils deviennent plus ou moins sauvages. En effet, les « machines » les plus complexes réalisées à ce jour ont plusieurs caractéristiques qui concourent à leur « sauvagerie ». D’abord, elles sont devenues si complexes qu’aucun humain n’en maîtrise le fonctionnements ; des ordinateurs et de nombreux logiciels ont été impliqués, de multiples concepteurs, réalisateurs, programmeurs. Trop de séries sont indépendantes, ce qui conduit à une forme d’aléatoire. Ensuite, elles sont conçues de plus en plus pour laisser du choix à l’usager. Par exemple, très tôt un simple « copier-coller » a pu être obtenu de différentes manières. Aujourd’hui, qui peut évaluer le nombre de possibilités d’usage, et de déplacements d’usage, d’un simple smartphone ? Des applications nouvelles naissent quasi tous les jours. En dernier lieu, plus une machine s’autonomise, c’est-à-dire s’adapte à de multiples situations, et plus un processus de domestication pourra s’y appliquer, pour l’adapter à un contexte nouveau, jusqu’au moment où l’animal domestiqué, lui-même va entrer dans un processus de co-domestication avec le robot dont il perçoit rapidement le comportement (Ben Othmen et al. 2020).
Le sens profond de l’anthropocène ne serait-il pas la domestication de la biosphère ? (Coppinger et Smith 1983 ; Crutzen 2007). Cela pourrait se construire par des boucles d’autodomestication multiples, l’Intelligence artificielle elle-même pouvant devenir un outil de domestication des connaissances et savoir-faire humains qui sont désormais devenus comme des processus vivants hors de contrôle, tant les humains inventent partout et sans cesse…
5 - La domestication aujourd’hui
5.1 - Concept d’alliance ou de domination ?
On peut énoncer que la domestication est la réaction de la nature à ce que les dispositifs techniques humains lui imposent, que cette nature soit de la matière, des flux, des transferts thermiques, des êtres vivants microbiens, végétaux ou animaux. On construit un barrage, le résultat est un grand lac. On fait passer l’eau par une turbine (gravitation) ; cela la fait tourner et le dispositif produit de l’électricité. L’électricité, telle qu’elle circule dans les fils électriques, « la fée électricité », est une forme d’énergie domestiquée. On ne la trouve pas sous cette forme dans la nature, à la demande… Le moulin à eau ou à vent qui broyait les grains de blé et les tamisait, transformait une masse de grains en farine, ce produit semi-domestiqué qui permettait, après d’autres opérations dont la cuisson, de fabriquer du pain, de la bouillie, du flan, et tous ces autres produits toujours plus civilisés ou domestiqués… c’était bien un dispositif technique de domestication ou, selon un autre prisme, de civilisation.
Il semblerait, mais ce n’est pas encore certain, que la première domestication ait été celle du feu, tellement délicate, dangereuse et quasi divine. Le mythe de Prométhée le dit : il a été volé aux dieux ! Le feu est une des premières conquêtes, longtemps avant le néolithique, mais celle qui la permettra est, semblerait-il, bien antérieure, car elle concerne l’usage d’outils de manière générale, il y a plus de trois millions d’années. Cette possibilité d’usage d’outils, qui signifie celle d’utiliser son corps comme outil, est la première vraie conquête fondatrice, celle de l’humain, mais le processus a été si long, si chaotique. C’est bien la technique originelle qui est de se tenir vertical et de libérer les mains pour caresser, saisir une main, attirer ou frapper, pour transporter dans ses mains, ou jeter au loin, ou frapper avec l’objet tenu en mains, c’est cette technique de base qui est le dispositif fondateur créateur d’une sélection qui n’aura de cesse pendant quelques millions d’années… La création de l’humain commence avec le premier acte technique collectivement appris, et enseigné, et ce premier acte fondateur est corporel et technique.
Il ne s’agit pas de déconsidérer ici la vague de domestication du néolithique, mais seulement de reconnaitre qu’elle n’était possible que parce que des étapes préliminaires avaient été franchies ; des étapes descriptibles comme des étapes d’expériences domesticatoires. Reconnaissons-le tout de suite, l’étape spécifique du XXIe siècle est certainement à la fois celle de la domestication des processus mentaux et sociaux, et celle de la domestication de la biosphère dans sa globalité, rien de moins. Car une fois que le verbe a été reconnu, et qu’il a domestiqué la pensée, il a alors été transcrit dans l’argile cuite, puis sur des papyrus ou des peaux de bêtes, d’abord selon des systèmes ambigus puis de plus en plus précis, il a été mis en rouleau. Il a été multiplié par les copistes. Puis après avoir été structuré en codex, il est passé à travers des machines à imprimer, de plus en plus vite. Presque en même temps, les nombres ont été codés et leurs relations analysées, organisées, construites dans des structures, des architectures codifiées pour lesquelles il n’y avait pas de mots. Le codage matériel a dépassé le verbe lui-même. Mais depuis, le verbe a été dépecé, disséqué, transcrit, traduit, pour fabriquer des images et des objets. Le verbe, issu de l’autodomestication d’un primate supérieur, est domestiqué par toute la technique qu’il a produite.
Bacon et Descartes nous l’avaient promis : par la science naissante associée à la technique déjà avancée, il s’agissait de comprendre la nature, de lui obéir et de l’expliquer pour la dominer.
Francis Bacon a indéniablement la primeur. Dans un aphorisme fameux de son Novum Organum, Francis Bacon (Lord Verulam) écrit : « […] l’homme, ministre et interprète de la nature, n’étend ses actions et ses connaissances qu’à mesure de ses observations sur l’ordre de la nature, en s’appuyant sur les œuvres ou sur l’esprit. Il ne sait ni ne peut rien de plus. Et il n’existe aucune force qui puisse arrêter ou briser la chaîne des causes ; et on ne triomphe de la nature qu’en lui obéissant. »4 Dans la préface du même ouvrage, il écrit : « Il faut donc se soumettre à la nature pour s’en rendre maître. On ne la connait qu’autant qu’on l’observe, et puisque nous ne pouvons pas la forcer à être telle que nous l’imaginons, c’est à nous de la voir telle qu’elle est ; peut-être ne se cache-t-elle pas autant qu’on le pense, ou du moins elle ne se cache souvent que pour se faire découvrir. Elle joue en quelque sorte avec nous, en se moquant de ceux qui la cherchent où elle n’est pas, elle se laisse volontiers saisir par ceux qui l’épient. » Multiples sont les textes où il affirme que la nature n’est conquise qu’en lui obéissant. De plus, il affirme que comme la fortune, la nature est chauve de dos, autrement dit, il faut la saisir immédiatement quand elle passe. Pasteur ira dans le même sens en écrivant que le hasard ne favorise que les esprits bien préparés.
Descartes écrit précisément5 : « il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant les forces et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie. »
Descartes, sur ce sujet n’a donc pas simplement répété Bacon, il a ajouté que nous pourrions adoucir la vie, et inventer de nombreux artefacts qui nous rendraient « comme maîtres et possesseurs de la nature ». Cette expression a été mainte fois répétée, mais surtout, ce qu’elle dit ainsi que ce qu’affirme Bacon ne sont à cette époque pas nouveaux, mis à part l’usage de la science pour y arriver. Bacon et Descartes vivaient dans un monde pour lequel la vérité vraie et révélée était dans la Bible. Et dans la Genèse, il est écrit : « Elohîm leur dit : « Fructifiez, multipliez, emplissez la terre, conquérez-la. Assujettissez le poisson de la mer, le volatile des ciels, tout vivant qui rampe sur la terre. » Elohîm leur dit : « Voici, je vous ai donné toute l’herbe semant semence, sur les faces de toute la terre, et tout l’arbre avec en lui fruit d’arbre, semant semence : pour vous il sera à manger. » (La bible, Genèse 1,28-29, traduction de Chouraqui, DDB, 1985). Bacon et Descartes n’ont fait que préciser dans leur langue moderne, selon une approche scientifique, les termes de la Bible, en précisant que c’était aussi le projet de la science et que c’était par elle qu’il était possible de dominer la nature en lui obéissant.
À ce jour, nous n’aurions pas de textes plus anciens que celui de La Genèse concernant cette domination de l’Humain sur les animaux et les plantes. On dispose de textes antérieurs sur le déluge qui date de 3700 BP, et comme le texte biblique fait référence à des semences, il s’appuie bien sur les connaissances agricoles de l’époque. On peut donc émettre l’hypothèse que le désir de dominer le monde existait déjà, et ce malgré des époques d’inondations violentes, reconnues qui détruisirent des cités entières, sans compter l’ouverture du détroit du Bosphore, vers 7500 BP, ouvrant la mer noire, qui fut une vraie « catastrophe » pour les peuples agriculteurs de la région qui migrèrent vers l’Europe et malgré bien d’autres catastrophes naturelles.
Jacques Cauvin (1998) dans son ouvrage « naissance des divinités, naissance de l’agriculture » insiste sur l’interprétation des données archéologiques qui concluent à une transformation profonde de la religiosité avant l’agriculture, préparant à une conquête du monde. Si la thèse de Cauvin se trouve confirmée, c’est-à-dire que la reconnaissance des humains que l’univers naturel est offert aux humains et qu’ils doivent en faire « la conquête » est bien le prélude à l’agriculture, et non l’inverse, cela suggère que cette prise de conscience elle-même est « récente » ; tout jusque une quinzaine de millénaires. Cela signifierait que pendant que les humains écumaient les continents et détruisaient au moins 80 % de la mégafaune terrestre planétaire durant les cinquante millénaires précédant l’agriculture, ils n’auraient nullement eu l’impression d’être les maîtres de la Nature ? Cela reste à questionner.
Pline l’ancien, au premier siècle CE, lui, le savait et l’affirmait clairement, mais sans comprendre comment cela avait pu se faire, puisqu’il s’étonnait qu’il naisse sans défense et pleurant pour un rien.
5.2 - Sortir de la croyance que tout vient de la révolution industrielle
Tout ce texte est un démenti au livre d’Alain Cotta (2015) et à tous ceux qui imaginent que la domestication de l’humain arrive très tard, à partir de la révolution industrielle. De fait c’est la rapidité de la révolution industrielle qui a frappé les esprits, mais cela parce que, dans la domestication de l’humain une rupture apparait avec Homo sapiens, et la possibilité d’interactions entre l’aspect cumulatif des techniques matérielles, la possibilité d’intégration culturelle de ces techniques et la capacité d’exaptation générale du cerveau (Dubois 2020b), c’est-à-dire la possibilité de transposer une situation dans une autre ou une conception d’un domaine dans un autre.
En fait on confond l’accélération de l’évolution de la lignée qui conduit du début de la verticalisation à l’Homo sapiens/demens/ludens/technicus/industrialis/economicus, avec les différentes ruptures, lesquelles sont en effet de plus en plus rapprochées et de plus en plus rapides. Si la seule vraie rupture était dans ce cas celle qui a lieu en moins d’une génération, alors il faut considérer que la première c’est l’émergence du téléphone portable (Ferraris, 2006), elle a commencé juste à la fin du XXe siècle. Il y aurait encore mieux : celle des réseaux sociaux informatiques mobiles, qui dominent le monde en moins de vingt ans ! Si les ruptures ou pliures ou transformations ou mutations ou révolution ne tiennent pas compte du temps, autrement dit, si la courbe descriptive est réalisée dans le cadre de coordonnées logarithmiques, on découvre quatre ruptures, donnant l’Homo sapiens moderne (Dubois, 2020b). S’y ajoutent désormais au moins six autres. L’agriculture, 10 000 PB à 8 000 BP ; la pensée réflexive, 700 BCE à -500 BCE ; la révolution préindustrielle, XVe siècle ; la révolution industrielle, XVIII-XIXe siècle ; la 2e révolution industrielle, XXe siècle ; la 3e, à la fin du XXe et au début du XXIe siècle ; et la 4e potentiellement en cours, la transformation biosphérique… Chaque étape correspond à une reconnaissance actualisée d’une domestication spécifique qui demanderait une analyse précise.
Dans ce contexte, il devient intéressant de tenter de comprendre quelle est la spécificité des dernières mutations puisqu’elles paraissent « fondamentalement » différentes des autres, et surtout de la dernière, celle qui se met en place sous nos yeux… Une spécificité certaine, concernant les deux, voire trois, dernières : elles ont été intégralement vécues dans un temps inférieur à celui d’une vie ; elles ont donc pu être « conscientisées » collectivement… Nous en avons désormais même l’expression théorique.
5.3 - L’imaginaire de la domestication aujourd’hui
L’imaginaire de la domestication se situe entre la réalité de sa pratique, celle que nous avons tenté de présenter, autant dans sa pratique que dans les conséquences concrètes de cette pratique dans la très longue durée – dont l’unité de temps est a minima le millénaire – et la représentation formelle partagée qu’en ont les acteurs, ce qui signifie qu’il devrait être l’objet d’une étude approfondie étant donné l’écart entre les deux. Souvent la domestication est considérée comme de l’apprivoisement ou du dressage, sans intégrer qu’il s’agit toujours d’un mouvement de co-domestication (Brulé 2015). Ce travail d’analyse doit être poursuivi. Qu’il s’agisse d’objets proches de notre corps ou d’espace naturel, leur domestication est une co-domestication qui produit dans la longue durée des transformations tant des objets techniques, de plus en plus concrétisés, selon l’expression de Simondon, que des modifications humaines a minima identitaires, et bien sûr, si la durée est vraiment très longue, des changements physiologiques ou morphologiques peuvent avoir été sélectionnés ou avoir dérivé.
La domestication progressive et de plus en plus générale de l’environnement vivant et non vivant, dans lequel est inséré le monde humain, est une réalité qui ne semble pas être à ce jour réellement reconnue pour ce qu’elle est : un mouvement de conquête ancien en cours d’accélération comme tout ce qui concerne l’humain en cette ère de l’anthropocène. La reconnaissance de cette réalité a trois principales conséquences. La première revient à accepter que l’émission excessive de gaz à effet de serre dans l’atmosphère soit une erreur qui doit être rapidement corrigée, ce qui ne signifie pas qu’elle doit être arrêtée. Dans ce cadre, il faut ajuster les émissions à un optimum, en incluant l’ingéniérie de stockage de carbone et l’investissement dans le nucléaire de la fission jusqu’aux surgénérateurs, puis dans la fusion. La deuxième conséquence c’est qu’une surconsommation/surproduction d’énergie, tant que cela ne détruit pas les conditions d’existence du vivant, mais établit un nouvel équilibre n’est pas nécessairement un problème. La troisième conséquence, c’est que l’existence d’une forme d’extinction de masse telle qu’en a connu déjà l’histoire du vivant, n’est pas un obstacle en soi, par contre c’est l’effet d’une homogénéisation des écosystèmes planétaires et donc la disparition de nombreuses niches écologiques locales. Cela ne signifie pas nécessairement une perte de biodiversité locale, mais cela conduit de fait à une chute forte de la biodiversité planétaire. C’est ce qu’a connu par exemple le bassin méditerranéen et son pourtour entre 8000 BCE et 0 CE. Par ailleurs, cela conduit à prendre acte de la disparition programmée du peu de mégafaune sauvage restant encore sur les continents, sauf dans les espaces qu’il a été possible protéger.
Mais on voit bien qu’entre des données de faits et les imaginaires qui s’expriment sur cette transition qualifiée généralement d’Anthropocène, il existe des écarts considérables qui peuvent par souci de simplification être décrits en deux imaginaires que tout oppose. Ces imaginaires s’opposent conceptuellement, mais s’opposent aussi dans l’action quotidienne à toutes les échelles de présence des humains sur la planète.
L’imaginaire de la toute-puissance humaine, à dominance masculine, que les psychanalystes et psychologues qualifieraient probablement de régression, consiste d’un côté en une posture de déni vis-à-vis des dégâts liés aux gaz à effet de serre, de l’effondrement excessif de la biodiversité – associés à la montée des eaux marines, et à l’accroissement des événements climatiques excessifs – et donc de capacité à maintenir le niveau actuel de production agricole, mais aussi en la projection d’un « avenir radieux » hyper technologique, conduisant à un nouvel humain pour lequel la technique n’est pas qu’un supplétif, mais aussi un complétif prothétique permanent qui le conduit au substantif de posthumain ou transhumain. Cette « nouvelle humanité », réduite à ceux qui seront capables de s’adapter à ces nouvelles conditions techniques et même de les faire évoluer, saura vivre dans de nouveaux environnements planétaires dont nous n’avons pas d’exemple hors de livres de science-fiction.
De l’autre côté, est également bien visible l’imaginaire d’une nature réparée que l’on pourrait qualifier d’écoféminisme, dans lequel le monde « sauvage » reste défendu et pour lequel la notion de soin ou de « care » l’emporte sur tout désir de puissance et de croissance économique à tout prix. La vie et les vivants à défendre n’ont pas de prix et la « décroissance », pas toujours synonyme de « dé-développement », devient le mot d’ordre. La baisse des émissions des gaz à effet de serre aura lieu par la sobriété volontaire, autant que par l’efficacité énergétique, et l’énergie nucléaire devra décroître autant que possible. Un refus militant d’une domestication du monde y est exposé. Cet imaginaire est assez bien décrit chez Raymond Ruyer (2014). Les techniques sont sobres et adaptées aux besoins d’une vie conviviale. Le rythme de vie est calme. La culture, les échanges interpersonnels, l’intérêt pour la nature sont considérés comme prioritaires.
Par exemple, à quel projet de domestication correspond la robotisation de l’élevage ? À quel projet de domestication la construction d’un méthaniseur, la construction de trames vertes et bleues, la promotion d’agricultures alternatives, mais aussi des projets comme celui de Starlink (entreprise spaceX dirigée par Elon Musk) ou de la 5 G, ou de la « block chain » et le Bitcoin ? Et que signifie de vouloir utiliser au maximum les énergies renouvelables jusqu’à les rendre inutilisables pour le peu de faune sauvage qui en aurait besoin ? Dans l’agriculture dite conventionnelle, le sol n’était probablement pas l’objet de domestication puisqu’il finissait par être imaginé comme un substrat inerte. Repenser l’agroécologie, c’est avoir un projet de domestication du sol, du territoire, mais peut-on en définir plus précisément le contour ?
L’imaginaire d’une domestication de la biosphère révulse ceux qui se pensent « écologistes », et pourtant tous les projets qu’ils soutiennent consistent à domestiquer les flux renouvelables et dans certains cas les confisquer aux autres espèces. Une agriculture extensive consomme plus de surface et met sous dispositif technique une surface accrue sans pour autant nourrir davantage. Refuser la densification des villes, c’est aussi étendre l’espace de domestication. L’agriculture de conservation des sols est une entreprise assez claire de domestication des sols, dans lequel l’imaginaire est très proche du réel pratique.
Plus généralement, peut-on concevoir un projet qui ne soit pas domesticatoire, sauf en cas de déprise. Même l’atmosphère est aujourd’hui sous l’emprise des émanations humaines et les réseaux satellitaires couvrent et entourent toute la biosphère…
Il existe donc plusieurs niveaux d’imaginaire de la domestication, d’une part selon le fonctionnement et les usages de ceux qui en profitent (animaux de rente des éleveurs, plantes cultivées d‘agriculteurs, parcs et jardins collectifs, animaux de compagnie et plantes d’ornement de citadins), mais aussi selon les fonctions des différents profils des acteurs créateurs de domestication, qu’ils soient stratèges, sélectionneurs, ingénieurs, concepteurs, gestionnaires ou simples utilisateurs.
Cependant une question reste en suspens : pourquoi et comment doit-on ou devrait-on limiter soudainement l’emprise domesticatoire humaine alors qu’elle se répand sur la planète depuis plus de trois millions d’années, avec il est vrai des moments d’accélération. Il y a 50 000 ans environ avec l’expansion planétaire et le début de l’extinction des mégafaunes et des oiseaux non volants de la planète ; il y a environ 12 000 ans avec le début de l’agriculture et la poursuite de la destruction des faunes sauvages « nuisibles » ; il y a cinq siècles environ avec le début de la mécanisation ; puis il y a deux siècles et demi avec l’extraction du charbon et la première révolution industrielle, suivie cent ans plus tard par l’extraction de pétrole, l’invention de l’électricité et la deuxième révolution industrielle ; et actuellement avec la mise en réseau planétaire et la modification de la composition atmosphérique au point d’entrainer un changement climatique global.
Ce sont ces imaginaires techniques et domesticatoires qui de fait vont diriger les orientations qui désormais ne sont plus uniquement des choix politiques, géopolitiques voire environnementaux ou écologiques, mais plus fondamentalement des grandes orientations biosphériques et planétaires qui concernent toute l’humanité... Ces imaginaires, nouveaux, dépassent donc largement tous les imaginaires techniques spécifiques, ils englobent une conception nouvelle de l’humain, au-delà de toute religion, de toute civilisation, de toute nationalité. Ils mériteraient d’être étudiés de manière approfondie.
6 - Conclusion et prospective
Réserver le terme de domestication à un processus qui serait corrélé à l’émergence et la construction de l’agriculture est donc extrêmement restrictif. Considérer la domestication simplement comme une technique ou comme des dispositifs techniques est plus ou moins déplacé. La domestication est une conséquence de l’activité technicienne, elle apparait comme un de ses buts, mais presque jamais comme un but direct. Elle s’apparente donc bien à un processus évolutif, créatif, mais sans but assignable, même si dans l’action technique qui va conduire à la domestication il y a bien une intentionnalité précise qui généralement ne concerne pas la domestication en tant que telle.
On peut, en première approche, considérer que la domestication est une conséquence qui se dévoile, dans la durée, qu’elle laisse supposer une sorte d’intention, mais que de fait, les conséquences vont toujours très au-delà de ce qui était recherché à l’origine.
Une autre approche, plus anticipatrice, lors d’un nouveau développement technique, serait de se poser la question de ce qui va être en processus de domestication. Qu’est-ce que la nouvelle technique provoque en termes de domestication ? Qui ou quoi est domestiqué ? Et qu’est-ce que cela montre de l’humain ?
Sommes-nous toujours dans la volonté de domination de la nature, conformément à la vision de Jacques Cauvin, et dans ce cas, est-ce bien en lui obéissant, selon les recommandations de F. Bacon ?
Et finalement, nos actions techniques ne vont-elles pas au-delà de ce que la nature peut accepter ? Nous avons l’expérience d’animaux ou de plantes non-domesticables, c’est-à-dire qui meurent dans l’environnement humain. Serait-ce le cas de la biosphère dans sa totalité ? S’il s’avérait que ce soit le cas, il y aurait ici urgence à penser et agir différemment…
Autant de questions qu’il convient désormais d’étudier.